Nathalie narre sa vie de danseuse balinaise puis, remontant encore, son existence de tambourineuse de tam-tam en Côte-d'Ivoire, de peintre miniaturiste à Malte, de sculpteur sur bois à l'île de Pâques.
Raoul se concentre pour bien diriger son médium.
– Mais entre deux de ces vies, que s'est-il passé? articule Sibélius.
Nathalie Kim met un temps à répondre.
– Que s'est-il passé entre deux vies? insiste l'hypnotiseur.
La jeune Coréenne se tait toujours. Elle ne remue plus. Elle respire à peine. Elle paraît sereine, comme revenue à une normalité qui ne l'épouvante plus.
– Je…
– Où étiez-vous?
– Je… je… je… suis ailleurs.
– Où? Où? Sur quel continent? Nouveaux frissons.
– Ailleurs. Pas sur Terre.
J'entends presque la voix de Raoul suppléer celle de Sibélius.
– Pas sur Terre?
– Avant… dans ma vie avant celle-ci, je vivais… je vivais sur… une autre planète.
78. ENCYCLOPEDIE
TROIS RÉACTIONS: Dans son ouvrage Éloge de la fuite, le biologiste Henri Laborit rapporte que, confronté à une épreuve, l'homme ne dispose que de trois choix: 1) combattre; 2) ne rien faire; 3) fuir.
Combattre: c'est l'attitude la plus naturelle et la plus saine. Le corps ne subit pas de dommages psychosomatiques. Le coup reçu est transformé en coup rendu. Mais cette attitude présente quelques inconvénients. On entre dans une spirale d'agressions à répétition. On finit toujours par rencontrer quelqu'un de plus fort qui vous met K-O.
Ne rien faire: c'est ravaler sa rancœur et agir comme si l'on n'avait pas perçu l'agression. C'est l'attitude la mieux admise et la plus répandue dans les sociétés modernes. Ce qu'on appelle l'«inhibition de l'action». On a envie de casser la figure à l'adversaire, mais étant donné qu'on a conscience du risque de se donner en spectacle, de prendre des coups en retour et de rentrer dans une spirale d'agression, on ravale sa rage. Dès lors, ce coup de poing qu'on n'inflige pas à l'adversaire, on se l'assène à soi-même. Dans ce type de situation fleurissent les maladies psychosomatiques: ulcères, psoriasis, névralgies, rhumatismes…
La troisième voie est la fuite. Il en existe de plusieurs sortes:
La fuite chimique: alcool, drogue, tabac, antidépresseurs, tranquillisants, somnifères. Elle permet d'effacer ou tout au moins d'atténuer l'agression subie. On oublie. On délire. On dort. Donc ça passe. Mais ce type de fuite dilue aussi le réel et, peu à peu, l'individu ne supporte plus le monde normal.
La fuite géographique: elle consiste à se déplacer sans cesse. On change de travail, d'amis, d'amants, de lieux de vie. Ainsi on fait voyager ses problèmes. On ne les résout pas pour autant, mais on leur fait changer de décor, ce qui est déjà en soi plus rafraîchissant.