Mais voici que le plus beau de tous les anges, un gaillard auquel les tonsurés ont donné le nom de Lucifer, guigna du coin de l’œil le siège du Très-Haut et conçut le rêve audacieux de se substituer à son créateur comme président du paradis. Sa criminelle tentative parut une délicieuse farce à quelques anges à qui l’exercice du chant semblait monotone, et ils s’associèrent au révolté, tandis que la grande majorité se montra scandalisée au plus haut point.
C’est alors que Michel, ange fidèle, vrai caniche pour le dévouement, se chargea de faire triompher la cause de Dieu en administrant à Lucifer une formidable raclée. L’ange rebelle fut précipité aux enfers, créés subitò en son honneur; ses complices y dégringolèrent en même temps; et le père Jéhovah put replacer son divin postérieur dans le fauteuil présidentiel.
Telle est, succinctement, la légende dont les pasteurs catholiques ont fait un dogme pour leurs tremblantes ouailles; car, au fond, cet épisode sert surtout à donner le frisson aux dévots et dévotes. Gare à vous, pieuses brebis! si vous n’obéissez pas aux messieurs-prêtres, vous irez rejoindre les mauvais anges au fin fond des enfers.
Dans la Bible hébraïque, quand il est question des diables, c’est-à-dire en des livres écrits incontestablement après la captivité de Babylone (mille ans après la mort de Moïse, ne l’oublions pas), le plus important de ces démons est appelé Satan; mais ces diables sont des mauvais génies, sans aucune autre explication; ils ne sont nullement représentés comme des révoltés, expulsés du paradis céleste et enchaînés dans un enfer de flammes. Ainsi, dans la légende de Job, le mauvais génie Satan se promène au ciel, y va et vient comme s’il était chez lui, y discute avec Jéhovah. En voyant ces diables des derniers livres de la Bible prendre si bien leurs aises et n’endurer aucun supplice, les critiques ont fait remarquer que c’était exactement la croyance des Chaldéens, des Perses, dont les livres sacrés remontent à une plus haute antiquité que ceux des Juifs. On en a conclu que les Israélites, pendant la longue captivité de Babylone, avaient ajouté à leurs croyances une partie de celles des peuples avec lesquels ils avaient été en contact. D’ailleurs, le nom que les Juifs adoptèrent alors pour désigner le principal diable trahit l’emprunt fait à la religion de la Chaldée ou Babylonie; car Satan n’est pas un mot hébreu, mais bien un mot chaldéen, qui signifie
L’Esprit-Saint avait donc caché au peuple de Dieu non seulement l’histoire de la révolte d’un certain nombre d’anges, mais même le véritable nom du principal diable, puisque celui-ci n’est jamais nommé Lucifer dans la Bible. Ce sont les chrétiens qui ont découvert tout cela.
Toutefois, les Pères de l’Eglise ont prétendu trouver à toute force une mention de Lucifer dans l’Ancien Testament: et, pour cela, ils ont eu recours à un subterfuge trompant assez habilement les ouailles qui les croient sur parole et ne lisent de la Bible que ce qu’on leur en laisse lire. Ce subterfuge roublard mérite d’être percé à jour, et je demande au lecteur de me pardonner une petite digression nécessaire.
C’est dans les prophéties d’Isaïe, au chapitre 14, verset 12, disent les tonsurés, qu’il est question de Lucifer sous ce nom même, et ils citent le commencement du verset, mais en le falsifiant au moyen de la traduction latine de saint Jérôme, dite la Vulgate.
Voici le passage en question. Dans ce chapitre 14, Isaïe, en bon juif furieux de ce que les Babyloniens ont tenu longtemps sa nation en captivité, exhale sa patriotique colère et annonce au roi de Babylone que son royaume subira à son tour la décadence et sera ruiné de fond en comble.