Épouvantée par la violence de cet accès, Catherine s'éloigna, gagna la profonde embrasure de l'une des fenêtres et s'efforça de regarder au-dehors. On n'y voyait rien sinon, sur l'ombre dense de la nuit, les minces stries d'une pluie incessante. La jeune femme pensait qu'il valait mieux laisser Philippe pleurer tout son saoul car les larmes bien souvent emportent l'amertume de l'âme. Si elle avait pu elle serait sortie, non pour s'éloigner mais pour ménager l'orgueil de ce prince vaincu si profondément car peut-être par la suite lui en voudrait-il d'avoir été témoin de son désespoir.
Peu à peu, d'ailleurs, les sanglots se calmèrent, s'espacèrent... Le silence à peine troublé par le crépitement du feu revint. Puis, soudain, ce fut la voix enrouée de Philippe :
— Où es-tu ? Viens près de moi...
Elle quitta presque à regret son refuge.
— Je suis là, monseigneur...
— J'ai cru que tu m'avais abandonné ! Viens plus près... Viens.
Lui-même s'était levé, courait vers elle, l'enveloppait de ses bras et enfouissait contre son cou son visage mouillé.
— Il faut que j'oublie, il faut que tu m'aides, Catherine...
Il dévorait son cou, ses joues, son visage de baisers fous sans paraître seulement s'apercevoir qu'elle ne les lui rendait pas et qu'entre ses bras elle demeurait froide, insensible.
— Que puis-je faire ?...
La question posée d'une voix douce mais trop calme jeta de l'eau glacée sur sa passion. Il la lâcha et la regarda avec stupeur :
— Ce que tu peux faire ? M'aider à oublier et tu sais très bien comment. Donne-moi ton corps, faisons l'amour jusqu'à épuisement...
Enlève cette horrible défroque, dénoue tes cheveux. J'ai besoin de la lumière de ta chair, de sa douceur, de sa chaleur...
De ses doigts fébriles il dénouait les cordons du froc noir, la corde qui le serrait à la taille, s'agaçait en découvrant dessous une autre robe noire.
— Aide-moi, voyons !...
— Non !... Si vous voulez me prendre prenez-moi, mais ne comptez pas sur moi pour vous y aider !
Il recula comme si elle l'avait giflé et elle vit les veines de ses tempes se gonfler sous une nouvelle poussée de colère.
— Tu ne veux pas être à moi ? Tu refuses, toi, ma maîtresse. ?
— Je ne suis plus votre maîtresse. Souvenez-vous, Philippe ! A Lille je vous ai bien dit qu'il s'agissait d'un adieu... définitif ! Je n'ai pas l'habitude des adieux successifs.
— Alors il ne fallait pas rester dans mes États, il fallait rentrer chez toi comme tu l'avais annoncé. Je te croyais loin déjà, et au lieu de cela j'apprends que tu es à Bruges, que tu es enceinte... de moi, ce qui est un comble, que l'on t'y garde en otage, comme monnaie d'échange contre leurs damnés privilèges... que je ne leur rendrai jamais ! De qui étais-tu enceinte ?...
C'était bien de lui, à cette minute dramatique, de se préoccuper de ce détail bien masculin.
— Croyez-vous que cela ait beaucoup d'importance ?
— Cela en a pour moi. Après tout, en te donnant à moi, la nuit des Rois, tu espérais peut-être me faire endosser une paternité inavouable
?...
Sans le moindre respect, elle haussa les épaules.
Pour le prince le plus intelligent de la chrétienté, vous dites des pauvretés, monseigneur ! Et je croyais que vous me connaissiez mieux. Si vous voulez tout savoir, j'ai été violée... par je ne sais combien de soudards ivres dans votre bonne ville de Dijon et je voulais arracher cette horreur de mon corps. On m'avait parlé d'une certaine Florentine et c'est elle que j'allais chercher à Bruges. Et puis j'ai dû traverser Lille, je vous ai revu... et j'ai voulu savoir si l'ancien charme d'autrefois pourrait guérir à la fois mon corps et mon cœur.
Vous avez été mon premier amant, Philippe... et jamais femme n'a eu amant plus merveilleux que vous. Cette nuit-là vous m'avez sans le savoir rendue à moi-même, à la vie dont je ne voulais plus... Ne me le reprochez pas, ce serait cruel.
Il revint vers elle, cherchant à l'attirer de nouveau à lui.
— Alors... pourquoi refuses-tu à présent ? Regarde ce lit couvert de fourrures, regarde cette chambre chaude, la belle lumière du feu.
Souviens-toi comme nous avons été heureux, à Lille, souviens-toi de notre joie, de nos caresses... j'en ai tant à te donner et toi, en échange tu me donneras l'apaisement, le calme, l'oubli...
— L'apaisement ? L'oubli ? L'oubli de quoi ? De ce que vous avez fait aujourd'hui ?
— Ce que j'ai fait ? Je t'ai sauvée il me semble ?...