« Avec une détermination toute militaire et un courage exemplaire, écrit Blomberg, le Führer a attaqué et écrasé lui-même les traîtres et les rebelles. L’armée qui porte les armes de la nation tout entière, se tient en dehors des luttes politiques intérieures. Elle exprime sa reconnaissance par son dévouement et sa fidélité. Le Führer demande qu’il existe de bonnes relations entre l’armée et les nouvelles Sections d’Assaut. L’armée s’appliquera à cultiver ces bonnes relations dans la pleine conscience de l’idéal commun. »
Le Führer l’a donc emporté : le voici désigné sur le front des troupes par le général-ministre de la Défense, comme l’exemple même du soldat le modèle à suivre. Le sang des généraux Schleicher et Bredow a vite séché : tout semble terminé. Et pourtant quand l’ambassadeur Dodd essaye de téléphoner à von Papen, le numéro ne répond pas : la ligne est toujours interrompue. Dans le quartier de Lichterfelde, brutalement, ont éclaté au milieu de la matinée de nouvelles salves : les exécutions ont repris à l’École militaire. Régulièrement, toutes les vingt minutes, on entend hurler le commandement avant que les coups de feu ne retentissent, puis isolé, séparé par quelques secondes, le claquement sec du coup de grâce. Pour les familles d’officiers qui habitent la caserne, la tension est telle que beaucoup abandonnent leur appartement pour se réfugier chez des parents en ville.
DIMANCHE 1er JUILLET, 13 HEURES.
Malgré les apparences, l’affaire continue donc et comment d’ailleurs pourrait-elle être achevée alors que Ernst Roehm vit toujours ? Himmler et Goering sont retournés en fin de matinée à la Chancellerie au mât de laquelle flotte le pavillon à croix gammée du Führer. Des Berlinois, badauds endimanchés, applaudissent les voitures officielles : personne parmi ces employés qui soulèvent leurs enfants pour leur permettre d’apercevoir le général Goering et le Reichsführer S.S. ne se doute que les deux hommes vont essayer d’obtenir de Hitler la mort de Roehm. La discussion est ardue. Hitler, reposé par une longue nuit, résiste. Il ne peut pas avouer que Roehm vivant est une arme contre Goering et Himmler, alors il évoque les années passées, les services rendus, mais ce sont de piètres arguments car ils auraient pu jouer pour Heydebreck ou Ernst, pour le général Schleicher ou pour Strasser. Hitler recule pas à pas, et un peu avant 13 heures, ce dimanche 1er juillet, il cède. Goering se lève, marche dans le salon, satisfait, rayonnant, et Himmler, modeste, parait méditer, dissimulant la joie dure qui le saisit. Quelques instants plus tard, le Führer entre en communication avec le ministère de l’Intérieur à Munich. Le bâtiment est devenu le Quartier général de la répression. Les officiers de la S.S. Leibstandarte Adolf-Hitler y ont établi leur quartier : là se trouve aussi l’Oberführer Theodore Eicke, le commandant de Dachau, qui a été l’un des premiers avertis par Heydrich de ce qui se préparait. Maintenant il attend les ordres de Berlin. Ils sont précis et émanent directement de Hitler. Supprimer Roehm en l’invitant, si cela est possible, à se suicider. Immédiatement Eicke choisit deux S.S. sûrs, le Sturmbannführer Michael Lippert et le Gruppenführer Schmauser et tous trois, après avoir vérifié leurs armes, se rendent à la prison de Stadelheim.
Il est 13 heures. Devant les hautes portes de la Chancellerie à Berlin une foule nombreuse attend : les enfants crient joyeusement, échappent à la surveillance de leurs pères. Les S.S. du service d’ordre, débonnaires, se laissent bousculer, les enfants blonds passant sous leurs bras. Dimanche 13 heures : la relève de la garde de la Chancellerie du Reich est une des plus courues parmi les attractions de Berlin. Voici d’ailleurs les unités de la relève qui arrivent, mannequins de chair, avançant au pas de parade et faisant claquer en cadence leurs talons ferrés sur l’asphalte. Un immense tambour-major fait pirouetter un étendard muni de clochettes et la fanfare joue le Horst Wessel Lied, puis, pendant que les soldats manoeuvrent, elle continue avec le Deutschland Lied puis le Badenweiler marsch. C’est alors que le Führer apparaît à la fenêtre de la Chancellerie, au premier étage, cette fenêtre où tant de fois déjà, et d’abord dans les jours qui ont suivi son investiture il a salué les foules enthousiastes ou les porteurs de torches. On l’aperçoit et des cris de joie s’élèvent de la foule. Le Führer apparaît, reposé, les cheveux soigneusement peignés, il parle avec animation au général Litzmann, commandant la garde, et au ministre Frick. Il salue de la main et se retire lentement comme à regret. La foule l’acclame encore, puis pendant que les soldats commencent leur quadrille minutieusement réglé, elle se disperse et beaucoup de promeneurs se dirigent avec leurs enfants vers le Tiergarten, ses allées fraîches, alors que l’après-midi berlinois s’annonce brûlant et lourd.