Et il est vrai que beaucoup d’Allemands se sentent soulagés en ce dimanche matin. Ils achètent les journaux et ils y découvrent la liste des six Obergruppenführer de la S.A. fusillés, ils lisent que Lutze remplace Roehm : les S.A. sont donc mis à la raison. Et cesseront sans doute ces ripailles, ces beuveries, ces rixes, ces scandales qui troublaient les petites villes : l’ordre enfin, cet ordre pour lequel les Allemands ont voté en faveur des nazis, le voici qui s’annonce. Ils n’ont pas eu tort de faire confiance au Führer. Comme l’a dit Goebbels à la radio : « Le Führer est résolu à agir sans pitié quand le principe de la convenance, de la simplicité, et de la propreté publique est en jeu et la punition est d’autant plus sévère que celui qu’elle atteint est plus haut placé ».
Les lecteurs respectables de la respectable Deutsche Allgemeine Zeitung sont rassurés. On ne parlera plus, en Allemagne, de seconde révolution comme le faisaient les S.A. « Un gouvernement énergique a frappé au bon moment, lisent-ils dans leur journal. Il a frappé avec une précision ahurissante. Il a fait le nécessaire pour qu’aucun patriote n’ait plus à craindre quoi que ce soit... Nous avons maintenant un État fort, consolidé, purifié. Nous ne nous attarderons pas ici aux détails répugnants qui auraient constitué l’arrière-plan d’une pseudo-révolution politique ».
Ainsi se rassurent des millions d’Allemands à la lecture de leurs journaux avant de partir pour les promenades le long des avenues ensoleillées, bavarder sur les places des villages ou faire du canotage sur le Griebnitzsee, face à la villa aux volets fermés du général Kurt Schleicher.
Tout est donc tranquille. Berlin resplendit dans cette matinée d’été, les jardins sont pleins d’enfants joyeux. L’ambassadeur américain Dodd circule lentement en voiture, il passe à deux reprises devant la résidence du vice-chancelier Franz von Papen, mais à l’exception d’un véhicule de la police qui stationne à proximité, tout semble normal. L’agence officielle D.N.B. multiplie depuis ce matin les communiqués que la radio retransmet et qui paraissent confirmer que la situation en Allemagne est parfaitement normale.
« En Silésie, dit un premier communiqué, les actions rendues nécessaires pour mettre fin à la révolution se sont déroulées dans le calme et une tranquillité parfaite. L’ensemble de la S.A. se tient derrière le Führer. La nuit du samedi au dimanche a été également très tranquille dans toute la Silésie. La S.A. a adressé un télégramme de fidélité au Führer. Le Gauleiter a télégraphié à Adolf Hitler pour affirmer le calme et la fidélité de la Silésie. » Le S.A.- Führer Wilhelm Scheppmann commandant les groupes Niederrhein et Westphalie télégraphie : « Nous continuons de marcher sur la voie qui nous a été tracée et vers le but que nous a désigné le Führer et nous sommes sûrs d’être ainsi au service du peuple. » Le Gauleiter de Hambourg, Kaufmann, assure que tout est calme et jure fidélité au Führer ; Loeper, Reichsstatthater du Braunschweig-Anhalt, réaffirme son obéissance aveugle au Führer ; Marschler, Gauleiter de Thuringe, jure fidélité au Führer : « Le Führer et son oeuvre sont intouchables », écrit-il. Streicher, Gauleiter de Franconie déclare que les éléments nuisibles ont été arrêtés : « Le Führer a triomphé, nous lui jurons fidélité. »
Il n’est pas un chef d’organisation nazie qui n’adresse son télégramme de soumission : et les officiers de la Sturmabteilung sont les premiers à le faire. Ils survivent, qu’importe si c’est à genoux. La victoire du Führer est donc totale dès ce dimanche matin. Et la Reichswehr à son tour le félicite. Il est vrai qu’elle vient – en apparence – de l’emporter. Dans son ordre du jour dicté à Lutze, Hitler n’indiquait-il pas que, « avant toutes choses, chaque chef S.A. règle sa conduite à l’égard de l’armée dans un esprit de franchise, de loyauté et de fidélité parfaites ? » Ainsi, c’en est bien fini des ambitions de Roehm qui voulait faire de la S.A. la base de la nouvelle armée du Reich. Les armes accumulées par les Sections d’Assaut sont livrées à la Reichswehr. Inspectant (le 5 juillet) les dépôts de la Sturmabteilung, le général Liese, chef du Waffenamt, pourra s’écrier : « Je n’ai plus besoin, pendant longtemps, d’acheter des fusils. » Pour prix de ces concessions, Hitler reçoit ce dimanche 1er juillet, la proclamation que le général Blomberg adresse aux troupes. Elle sera affichée dans les casernes, lue dans les mess d’officiers et devant les soldats rangés au garde-à-vous.