« La nuit a été singulière : où nous dormions, Nos cheminées étaient renversées par le vent, Et dit-on, furent entendues des lamentations Dans l’air, avec d’étranges cris de mort, Et qui prophétisaient en terribles accents D’horribles rébellions, confus événements, nouvellement éclos pour des époques noires. »
Lennox in Macbeth II,
3 trad. de P.J. Jouve Club français du livre.
« Comment ne point penser à Richard le Troisième ?
Jamais depuis le temps de Lancastre et Tudor,
Jamais on n’avait vu la même Hitoire de flamme et de mort »
Bertolt Brecht,
La Résistible Ascension d’Arturo Ui.
« On ne cachait pas que, cette fois, la révolution devrait être sanglante ; on parlait pour la désigner de la Nuit des longs couteaux. »
« J’étais responsable de la nation allemande et, en conséquence c’est moi qui, pendant vingt-quatre heures, étais à moi seul, le Justicier suprême du peuple allemand.
Dans tous les temps et ailleurs, on a décimé les mutins... J’ai donné l’ordre de fusiller les principaux coupables et j’ai donné l’ordre aussi de cautériser les abcès de notre empoisonnement intérieur et de l’empoisonnement étranger jusqu’à brûler la chair vive... »
Adolf Hitler, le 13 juillet 1934.
« Ce n’est pas un beau crime... Du sang, de la volupté et de la mort ? Ah que non point ! On y sent la complicité, la trahison, l’hypocrisie. Ces cadavres sont exhibés dans la fange et les meurtriers se sont ménagés un alibi. Le bourreau se fait pudibond. Il ne tue pas seulement : il prêche. Il a toléré le stupre et l’orgie, et, quand il croit avoir à se défendre lui-même, c’est au nom de la vertu qu’il frappe. Vieille Allemagne... tu n’as pas mérité ça. »
Journal Le Temps, 3 juillet 1934.
Avertissement
Ce texte est un récit historique. C’est-à-dire que, délibérément, nous avons tenté de recréer l’événement non seulement dans ses causes générales ou dans ses mécanismes politiques, mais aussi en évoquant les attitudes, les pensées, les visages de tel ou tel acteur ou encore en décrivant la couleur du ciel et les paysages qui servent de cadre à ces jours tragiques. Ce parti pris nous l’avons choisi peut-être pour dépasser un temps la rigueur un peu abstraite de l’analyse et surtout pour tenter de faire renaître un climat, un régime et une époque qui, Brecht ne s’y est pas trompé, renvoient à Shakespeare irrésistiblement.
Pour construire ce récit, nous avons utilisé plusieurs sources. Les archives de l’Institut d’histoire contemporaine de Munich, les documents publiés à l’occasion de tel ou tel procès, les journaux du temps, les Mémoires des protagonistes, les études historiques relatives à l’événement lui-même et au IIIeme Reich. Enfin nous avons interrogé ceux des acteurs, grands ou anonymes, que nous avons pu retrouver et qui ont accepté de répondre à nos questions. Nous avons aussi parcouru les lieux de l’action.
Tous ces éléments nous les avons fondus ensemble, ordonnés comme dans un scénario où les temps se chevauchent, se télescopent, où le passé se mêle au présent, car l’événement court, se construit minute après minute, mais il concentre à chaque instant toute l’histoire déjà vécue. Et ne pas évoquer cette histoire c’est rendre l’événement obscur, incompréhensible.
Au lecteur de dire si ce puzzle et cette totalité qu’est une journée historique sont clairement reconstitués ici.
Qu’il soit répété que ce livre doit être pris pour ce qu’il a voulu être, un récit, et que notre ami germaniste Jacques Celerne soit remercié pour l’aide qu’il nous a apportée.
Max GALLO
PROLOGUE
Dans la prison de Stadelheim, à Munich, un peloton de S.S. a pris position dans la cour. C’est la fin de l’après-midi du samedi 30 juin 1934. Rapidement le Gruppenführer Sepp Dietrich parcourt les couloirs de la prison. Derrière les portes des cellules, les hommes qui jusqu’à hier soir étaient ses camarades ou ses chefs attendent depuis plusieurs heures qu’on décide de leur sort. Sepp Dietrich sait qu’ils vont mourir. À chacun d’eux, détournant son regard il va lancer :
« Vous avez été condamné à mort par le Führer pour haute trahison. Heil Hitler »
Et il se fait ouvrir une autre porte ignorant les cris et les jurons. Déjà on entraîne dans la cour le premier prisonnier et l’officier SS qui commande le peloton de l’Ordre Noir crie dans la lumière rousse de juin :
« Le Führer l’exige. En joue. Feu. »
˗ Edmund Schmid, Gruppenführer de la Sturmabteilung – l’armée des Sections d’Assaut –, cellule 497. Fusillé.
˗ Hans Joachim von Spreti-Weilbach, Standartenführer S.A., cellule 501. Fusillé.
˗ Hans Peter von Heydebreck, Gruppenführer S.A., cellule 502. Fusillé.
˗ Hans Hayn, Gruppenführer S.A., cellule 503. Fusillé.
˗ August Schneidhuber, Obergruppenführer S.A., préfet de police de Munich, cellule 504. Fusillé.