Читаем La planète des singes полностью

C’est une poupée, une simple poupée de porcelaine. Un miracle l’a conservée presque intacte, avec des vestiges de cheveux, et des yeux qui portent encore quelques écailles de couleur. C’est une vision si familière pour moi que je ne comprends pas, tout d’abord, l’émotion de Cornélius. Il me faut plusieurs secondes pour réaliser… J’y suis ! l’insolite me pénètre et me bouleverse aussitôt. C’est une poupée humaine, qui représente une fille, une fille de chez nous. Mais je refuse de me laisser entraîner par des chimères. Avant de crier au prodige, il faut examiner toutes les possibilités de causes banales. Un savant comme Cornélius a certainement dû le faire. Voyons : parmi les poupées des enfants singes, il en existe quelques-unes, peu, mais enfin quelques-unes, ayant une forme animale et même humaine. Ce n’est pas la seule présence de celle-ci qui peut émouvoir ainsi le chimpanzé… M’y voici encore : les jouets des petits singes figurant des animaux ne sont pas en porcelaine ; et surtout, en général, ils ne sont pas habillés ; pas habillés en tout cas comme des êtres raisonnables. Et cette poupée, je vous le dis, est vêtue comme une poupée de chez nous – on distingue des restes bien apparents de la robe, du corsage, du jupon et de la culotte – vêtue avec le goût que mettrait une petite fille de la Terre à parer sa poupée favorite, avec le soin que prendrait une petite guenon de Soror à habiller sa poupée guenon ; un soin que jamais, jamais, elle n’apporterait à travestir une forme animale comme la forme humaine. Je comprends, je comprends de mieux en mieux l’émoi de mon subtil ami chimpanzé.

Et ce n’est pas tout. Ce jouet présente une autre anomalie, une autre bizarrerie qui a fait rire tous les ouvriers et même sourire le solennel orang-outan qui dirige les fouilles. La poupée parle. Elle parle comme une poupée de chez nous. En la posant, Cornélius a pressé par hasard le mécanisme resté intact et elle a parlé. Oh ! elle n’a pas fait de discours. Elle a prononcé un mot, un simple mot de deux syllabes : pa-pa. Pa-pa, dit encore la poupée, comme Cornélius la reprend et la tourne en tous sens entre ses mains agiles. Le mot est le même en français et en langage simien, peut-être aussi en bien d’autres langages de ce cosmos mystérieux, et il a la même signification. Pa-pa, redit la petite poupée humaine, et c’est cela surtout qui fait rougir le mufle de mon savant compagnon ; c’est cela qui me bouleverse au point que je suis obligé de me retenir pour ne pas crier, tandis qu’il m’entraîne à l’écart, emportant sa précieuse découverte.

« Le monstrueux imbécile ! » murmure-t-il après un long silence.

Je sais de qui il parle et je partage son indignation. Le vieil orang décoré a vu là un simple jouet de petite guenon, qu’un fabricant excentrique, vivant dans un passé lointain, aurait doté de la parole. Il est inutile de lui proposer une autre explication. Cornélius ne l’essaie même pas. Celle qui se présente naturellement à son esprit lui paraît même si troublante qu’il la garde pour lui. Il ne m’en souffle pas mot à moi-même, mais il sait bien que je l’ai devinée.

Il reste songeur et muet pendant tout le reste de la journée. J’ai l’impression qu’il a peur, à présent, de poursuivre ses recherches et qu’il regrette ses demi-confidences. Sa surexcitation tombée, il déplore que j’aie été témoin de sa découverte.

Dès le lendemain, j’ai la preuve qu’il se repent de m’avoir amené ici. Après une nuit de réflexion, il m’apprend, en évitant mon regard, qu’il a décidé de me renvoyer à l’Institut, où je pourrai continuer des études plus importantes que dans ces ruines. Mon billet d’avion est retenu. Je partirai dans vingt-quatre heures.

IV

Supposons, me dis-je, que les hommes aient autrefois régné en maîtres sur cette planète. Supposons qu’une civilisation humaine, semblable à la nôtre, ait fleuri sur Soror, il y a plus de dix mille ans…

Ce n’est plus du tout une hypothèse insensée ; au contraire. A peine l’ai-je formulée que je sens l’exaltation que procure la découverte de la seule bonne piste parmi les sentiers trompeurs. C’est dans cette voie, je le sais, que se trouve la solution de l’irritant mystère simien. Je m’aperçois que mon inconscient avait toujours rêvé quelque explication de ce genre.

Je suis dans l’avion qui me ramène vers la capitale, accompagné par un secrétaire de Cornélius, un chimpanzé peu bavard. Je n’éprouve pas le besoin de m’entretenir avec lui. L’avion m’a toujours disposé à la méditation. Je ne trouverai pas de meilleure occasion que ce voyage pour mettre de l’ordre dans mes idées.

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