Читаем La planète des singes полностью

… Supposons donc l’existence lointaine d’une civilisation semblable à la nôtre sur la planète Soror. Est-il possible que des créatures dénuées de sagesse l’aient perpétuée par un simple processus d’imitation ? La réponse à cette question me paraît hasardeuse, mais à force de la tourner dans ma tête, une foule d’arguments se présentent, qui détruisent peu à peu son caractère d’extravagance. Que des machines perfectionnées puissent nous succéder un jour, c’est, je m’en souviens, une idée très commune sur la Terre. Elle est courante non seulement parmi les poètes et les romanciers, mais dans toutes les classes de la société. C’est peut-être parce qu’elle est ainsi répandue, née spontanément dans l’imagination populaire, qu’elle irrite les esprits supérieurs. Peut-être est-ce aussi pour cette raison qu’elle renferme une part de vérité. Une part seulement : les machines seront toujours des machines ; le robot le plus perfectionné, toujours un robot. Mais s’il s’agit de créatures vivantes possédant un certain degré de psychisme, comme les singes ? Et justement, les singes sont doués d’un sens aigu de l’imitation…

Je ferme les yeux. Je me laisse bercer par le ronflement des moteurs. J’éprouve le besoin de discuter avec moi-même pour justifier ma position.

Qu’est-ce qui caractérise une civilisation ? Est-ce l’exceptionnel génie ? Non ; c’est la vie de tous les jours… Hum ! Faisons la part belle à l’esprit. Concédons que ce soient d’abord les arts et, au premier chef, la littérature. Celle-ci est-elle vraiment hors de portée de nos grands singes supérieurs, si l’on admet qu’ils sont capables d’assembler des mots ? De quoi est faite notre littérature ? De chefs-d’oeuvre ? Là encore, non. Mais un livre original ayant été écrit – il n’y en a guère plus d’un ou deux par siècle – les hommes de lettres l’imitent, c’est-à-dire le recopient, de sorte que des centaines de milliers d’ouvrages sont publiés, traitant exactement des mêmes matières, avec des titres un peu différents et des combinaisons de phrases modifiées. Cela, les singes, imitateurs par essence, doivent être capables de le réaliser, à la condition encore qu’ils puissent utiliser le langage.

En somme, c’est le langage qui constitue la seule objection valable. Mais attention ! Il n’est pas indispensable que les singes comprennent ce qu’ils copient pour composer cent mille volumes à partir d’un seul. Cela ne leur est évidemment pas plus nécessaire qu’à nous. Comme nous, il leur suffit de pouvoir répéter des phrases après les avoir entendues. Tout le reste du processus littéraire est purement mécanique. C’est ici que l’opinion de certains savants biologistes prend toute sa valeur : il n’existe rien dans l’anatomie du singe, soutiennent-ils, qui s’oppose à l’usage de la parole ; rien, sinon la volonté. On peut très bien concevoir que la volonté lui soit venue un jour, par suite d’une brusque mutation.

La perpétuation d’une littérature comme la nôtre par des singes parlants ne choque donc en aucune façon l’entendement. Par la suite, peut-être, quelques singes de lettres se haussèrent d’un degré dans l’échelle intellectuelle. Comme le dit mon savant ami Cornélius, l’esprit s’incarna dans le geste – ici, dans le mécanisme de la parole – et quelques idées originales purent apparaître dans le nouveau monde simien, à la cadence d’une par siècle ; comme chez nous.

Suivant gaillardement ce train de pensée, j’en arrivai vite à me convaincre que des animaux bien dressés pouvaient fort bien avoir exécuté les peintures et les sculptures que j’avais admirées dans les musées de la capitale et, d’une manière générale, se révéler experts dans tous les arts humains, y compris l’art cinématographique.

Ayant considéré tout d’abord les plus hautes activités de l’esprit, il m’était trop facile d’étendre ma thèse aux autres entreprises. Notre industrie ne résista pas longtemps à mon analyse. Il m’apparut avec évidence qu’elle ne nécessitait la présence d’aucune initiative rationnelle pour se propager dans le temps. A sa base, elle comportait des manoeuvres effectuant toujours les mêmes gestes, que des singes pouvaient relayer sans dommage ; aux échelons supérieurs, des cadres dont le rôle consistait à composer certains rapports et à prononcer certains mots dans des circonstances données. Tout cela était une question de réflexes conditionnés. Aux degrés encore plus élevés de l’administration, la singerie me parut encore plus facile à admettre. Pour continuer notre système, des gorilles n’auraient qu’à imiter quelques attitudes et prononcer quelques harangues, toutes calquées sur le même modèle.

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