– Vous allez comprendre, monseigneur, j’en suis sûr, dit Cagliostro.
– Comment cela?
– En reconnaissant votre signature.
Et il offrit un papier plié au prince, qui, même avant de l’ouvrir, s’écria:
– Mon reçu!
– Oui, monseigneur, votre reçu, répondit Cagliostro, avec un léger sourire, mitigé encore par une froide révérence.
– Vous l’avez brûlé cependant, monsieur, j’en ai vu la flamme.
– J’ai jeté ce papier dans le feu, c’est vrai, dit le comte, mais comme je vous l’ai dit, monseigneur, le hasard a voulu que vous ayez écrit sur un morceau d’amiante, au lieu d’écrire sur un papier ordinaire, de sorte que j’ai retrouvé le reçu intact sur les charbons consumés.
– Monsieur, dit le cardinal avec une certaine hauteur, car il croyait voir dans la représentation de ce reçu une marque de défiance, monsieur, croyez bien que je n’eusse pas plus renié ma dette sans ce papier, que je ne la renie avec ce papier; ainsi vous avez eu tort de me tromper.
– Moi, vous tromper, monseigneur, je n’en ai pas eu un instant l’intention, je vous jure.
Le cardinal fit un signe de tête.
– Vous m’avez fait croire, monsieur, dit-il, que le gage était anéanti.
– Pour vous laisser la jouissance calme et heureuse des cinq cent mille livres, répondit à son tour Balsamo, avec un léger mouvement d’épaules.
–Mais enfin, monsieur, continua le cardinal, comment, pendant dix années, avez-vous laissé une pareille somme en souffrance?
– Je savais, monseigneur, chez qui elle était placée. Les événements, le jeu, les voleurs, m’ont successivement dépouillé de tous mes biens. Mais sachant que j’avais cet argent en sûreté, j’ai patienté et attendu jusqu’au dernier moment.
– Et le dernier moment est arrivé?
– Hélas! oui, monseigneur!
– De sorte que vous ne pouvez plus patienter ni attendre.
– C’est, en effet, chose impossible pour moi, répondit Cagliostro.
– Ainsi vous me redemandez votre argent?
– Oui, monseigneur.
– Dès aujourd’hui.
– S’il vous plaît?
Le cardinal garda un silence tout palpitant de désespoir.
Puis, d’une voix altérée:
– Monsieur le comte, dit-il, les malheureux princes de la terre n’improvisent point des fortunes aussi rapides que vous autres enchanteurs, qui commandez aux esprits de ténèbres et de lumières.
– Oh! monseigneur, dit Cagliostro, croyez bien que je ne vous eusse pas demandé cette somme si je n’avais su d’avance que vous l’aviez.
– J’ai cinq cent mille livres, moi! s’écria le cardinal.
– Trente mille livres en or, dix mille en argent, et le reste en bons de caisse.
Le cardinal pâlit.
– Lesquels sont là dans cette armoire de Boule, continua Cagliostro
– Oh! monsieur, vous savez cela?
– Oui, monseigneur, et je sais aussi tout ce qu’il vous a fallu faire de sacrifices pour vous procurer cette somme. J’ai ouï dire même que vous avez acheté cet argent deux fois sa valeur.
– Oh! c’est bien vrai, cela.
– Mais…
– Mais?… s’écria le malheureux prince.
– Mais moi, monseigneur, continua Cagliostro, depuis dix ans, j’ai vingt fois failli mourir de faim ou d’embarras à côté de ce papier, qui représentait pour moi un demi-million; et cependant, pour ne point vous troubler, j’ai attendu. Je crois donc que nous sommes à peu près quittes, monseigneur.
– Quittes, monsieur! s’écria le prince; oh! ne dites pas que nous sommes quittes, puisqu’il vous reste l’avantage de m’avoir si généreusement prêté une somme de cette importance; quittes! oh! non! non! je suis et demeurerai éternellement votre obligé. Seulement, monsieur le comte, je vous demande pourquoi vous, qui pouviez depuis dix ans me redemander cette somme, vous avez gardé le silence? Pendant ces dix ans, j’eusse eu vingt occasions de vous rendre cet argent sans me gêner.
– Tandis qu’aujourd’hui?… demanda Cagliostro.
– Oh! aujourd’hui je ne vous cache point, s’écria le prince, que cette restitution que vous exigez, car vous l’exigez, n’est-ce pas?
– Hélas! monseigneur.
– Eh bien! me gêne horriblement.
Cagliostro fit de la tête et des épaules un petit mouvement qui signifiait: «Que voulez-vous, monseigneur, cela est ainsi et ne peut être autrement.»
– Mais vous qui devinez tout, s’écria le prince; vous qui savez lire au fond des cœurs, et même au fond des armoires, ce qui est quelquefois bien pis, vous n’en êtes probablement pas à apprendre pourquoi je tiens tant à cet argent, et quel est l’usage mystérieux et sacré auquel je le destine?