Charny remarqua que ceux qui ouvraient cette porte ne parlaient pas; ils refermèrent les verrous et entrèrent dans l’allée qui passait sous les fenêtres de sa maison.
Les taillis, les pampres pendants dissimulaient assez volets et murailles pour qu’en passant on ne les aperçût pas.
D’ailleurs, ceux qui marchaient là baissaient la tête et hâtaient le pas. Charny les distingua confusément dans l’ombre. Seulement, au bruit des jupes flottantes, il reconnut deux femmes dont les mantelets de soie frissonnaient le long des ramées.
Ces femmes, en tournant la grande allée située en face la fenêtre de Charny, furent enveloppées par le rayon plus libre de la lune, et Olivier faillit pousser un cri de surprise joyeuse en reconnaissant la tournure et la coiffure de Marie-Antoinette, comme aussi le bas de son visage éclairé, malgré le reflet sombre de la passe du chapeau. Elle tenait une belle rose à la main.
Le cœur tout palpitant, Charny se laissa glisser dans le parc du haut de sa fenêtre. Il courut sur l’herbe pour ne pas faire de bruit, se cachant derrière les plus gros arbres, et suivant du regard les deux femmes, dont la course se ralentissait à chaque minute.
Que devait-il faire? La reine avait une compagne; elle ne courait aucun danger. Oh! que n’était-elle seule, il eût bravé les tortures pour s’approcher et lui dire à genoux: «Je vous aime!» Oh! que n’était-elle menacée par quelque péril immense, il eût jeté sa vie pour sauver cette précieuse vie.
Comme il pensait à tout cela en rêvant mille folles tendresses, les deux promeneuses s’arrêtèrent soudain; l’une, la plus petite, dit quelques mots bas à sa compagne et la quitta.
La reine demeura seule; on voyait l’autre dame hâter sa marche vers un but que Charny ne devinait pas encore. La reine, battant le sable avec son petit pied, s’adossait à un arbre et s’enveloppait dans sa mante, de façon à couvrir même sa tête avec le capuchon qui, l’instant d’avant, ondoyait en larges plis soyeux sur son épaule.
Quand Charny la vit seule et ainsi rêveuse, il fit un bond comme pour aller tomber à ses genoux.
Mais il réfléchit que trente pas au moins le séparaient d’elle; qu’avant qu’il eût franchi ces trente pas, elle le verrait, et, ne le reconnaissant pas, prendrait peur; qu’elle crierait ou fuirait; que ses cris attireraient sa compagne d’abord, puis quelques gardes; qu’on fouillerait le parc; qu’on découvrirait l’indiscret au moins, la retraite peut-être, et que c’en était fait à jamais du secret, du bonheur et de l’amour.
Il sut s’arrêter et il fit bien, car à peine eut-il réprimé cet élan irrésistible que la compagne de la reine reparut et ne revint pas seule.
Charny vit derrière elle, à deux pas, marcher un homme de belle taille, enseveli sous un large chapeau, perdu sous un vaste manteau.
Cet homme, dont l’aspect fit trembler de haine et de jalousie monsieur de Charny, ne s’avançait pas comme un triomphateur. Chancelant, traînant le pied avec hésitation, il semblait marcher à tâtons dans la nuit, comme s’il n’eût pas eu pour guide la compagne de la reine, pour but la reine elle-même, blanche et droite sous son arbre.
Dès qu’il aperçut Marie-Antoinette, ce tremblement que Charny avait remarqué en lui ne fit qu’augmenter. L’inconnu retira son chapeau et en balaya la terre pour ainsi dire. Il continuait à s’avancer. Charny le vit entrer dans l’épaisseur de l’ombre; il salua profondément et à plusieurs reprises.
Cependant la surprise de Charny s’était changée en stupeur. De la stupeur il allait bientôt passer à une autre émotion bien autrement douloureuse. Que venait faire la reine dans le parc à une heure aussi avancée? Qu’y venait faire cet homme? Pourquoi cet homme avait-il attendu, caché? Pourquoi la reine l’avait-elle envoyé quérir par sa compagne au lieu d’aller elle-même à lui?
Charny faillit perdre la tête. Il se souvint pourtant que la reine s’occupait de politique mystérieuse, qu’elle nouait souvent des intrigues avec les cours allemandes, relations dont le roi était jaloux et qu’il défendait sévèrement.
Peut-être ce cavalier mystérieux était-il un courrier de Schönbrunn ou de Berlin, quelque gentilhomme porteur d’un message secret, une de ces figures allemandes comme Louis XVI n’en voulait plus voir à Versailles, depuis que l’empereur Joseph II s’était permis de venir faire en France un cours de philosophie et de politique critique à l’usage de son beau-frère le roi Très Chrétien.
Cette idée, semblable au bandeau de glace que le médecin applique sur un front brûlant de fièvre, rafraîchit ce pauvre Olivier, lui rendit l’intelligence, et calma le délire de sa première colère. La reine, d’ailleurs, gardait une pose pleine de décence et même de dignité.