La reine, adossée à son grand arbre, s’assit sur le manteau que le nouveau Raleigh étendit pour elle, et tandis que l’amie vigilante faisait le guet, comme la veille, l’amoureux seigneur, s’agenouillant sur la mousse, commença à causer avec une rapidité passionnée.
La reine baissait la tête, en proie à une mélancolie amoureuse. Charny n’entendait pas les paroles mêmes du cavalier, mais l’air des paroles était empreint de poésie et d’amour. Chacune des intonations pouvait se traduire par une protestation ardente.
La reine ne répondait rien. Cependant l’inconnu redoublait la caresse de ses discours, parfois il semblait à Charny, au misérable Charny, que la parole, enveloppée dans ce frissonnement harmonieux, allait éclater intelligible, et qu’alors il mourrait de rage et de jalousie. Mais, rien, rien. Au moment où la voix s’éclaircissait, un geste significatif de la compagne, aux écoutes, forçait l’orateur passionné à baisser le diapason de ses élégies.
La reine gardait un silence obstiné.
L’autre, entassant prières sur prières, ce que Charny devinait à la mélodie vibrante de ses inflexions, n’obtenait que le doux consentement du silence, insuffisante faveur pour les lèvres ardentes qui ont commencé à boire l’amour.
Mais soudain la reine laissa échapper quelques mots. Il faut le croire du moins. Paroles bien étouffées, bien éteintes, parce que l’inconnu seul put les entendre; mais à peine les eut-il entendues, que, dans l’excès de son ravissement, il s’écria de façon à se faire entendre lui-même:
– Merci, ô merci, ma douce Majesté! Ainsi donc, à demain.
La reine cacha entièrement son visage, déjà si bien caché.
Charny sentit une sueur glacée, la sueur de la mort, descendre lentement sur ses tempes en gouttes pesantes.
L’inconnu venait de voir les deux mains de la reine s’étendre vers lui. Il les saisit dans les siennes en y déposant un baiser si long et si tendre, que Charny connut pendant sa durée la souffrance de tous les supplices que la féroce humanité a dérobés aux barbaries infernales.
Ce baiser donné, la reine se leva vivement, et saisit le bras de sa compagne.
Toutes deux s’enfuirent en passant, comme la veille, auprès de Charny.
L’inconnu fuyant de son côté, Charny, qui n’avait pu quitter le sol où le tenait enchaîné la prostration d’une douleur indicible, Charny perçut vaguement le bruit simultané de deux portes qui se refermaient.
Nous n’essaierons pas de dépeindre la situation dans laquelle se trouva Charny après cette horrible découverte.
La nuit se passa pour lui en courses furieuses dans le parc, dans les allées, auxquelles il reprochait avec désespoir leur criminelle complicité.
Charny, fou pendant quelques heures, ne retrouva sa raison qu’en heurtant dans sa course aveugle l’épée qu’il avait jetée pour n’avoir pas la tentation de s’en servir.
Cette lame, qui embarrassa ses pieds et causa sa chute, le rappela tout d’un coup au sentiment de sa force comme à celui de sa dignité. Un homme qui sent une épée dans sa main ne peut plus, s’il est encore fou, que se percer de cette épée ou en percer qui l’offense; il n’a plus le droit d’être faible ni d’avoir peur.
Charny redevint ce qu’il était toujours, un esprit solide, un corps vigoureux. Il discontinua les courses insensées pendant lesquelles il se heurtait aux arbres, et marcha droit et en silence dans l’allée encore sillonnée par les pas des deux femmes et de l’inconnu.
Il alla visiter la place où la reine s’était assise. Les mousses, encore foulées, révélaient à Charny son malheur et le bonheur d’un autre! Au lieu de gémir, au lieu de laisser les fumées de la colère monter de nouveau à son front, Olivier se mit à réfléchir sur la nature de cet amour caché, et sur la qualité de la personne qui l’inspirait.
Il alla explorer les pas de ce seigneur avec la froide attention qu’il eût mise à examiner les passées d’une bête fauve. Il reconnut la porte derrière les bains d’Apollon. Il vit, en gravissant le chaperon du mur, des pieds de cheval et beaucoup de ravage dans l’herbe.
«Il vient par là! Il vient, non de Versailles, mais de Paris, songea Olivier. Il vient seul, et demain il reviendra, puisqu’on lui a dit: À demain.
«Jusqu’à demain dévorons silencieusement, non plus les larmes qui coulent de mes yeux, mais le sang qui coule à flots de mon cœur.
«Demain sera le dernier jour de ma vie, sinon je suis un lâche et je n’ai jamais aimé.
«Allons, allons, fit-il en frappant doucement sur son cœur, comme le cavalier frappe sur le col de son coursier qui s’emporte, allons, du calme, de la force, puisque l’épreuve n’est pas terminée encore.»
Cela dit, il jeta un dernier regard autour de lui, détourna les yeux du château, dans lequel il redoutait de voir éclairée la fenêtre de la perfide reine; car cette lumière eût été un mensonge, une tache de plus.
En effet, la fenêtre éclairée ne signifie-t-elle pas chambre habitée? Et pourquoi mentir ainsi quand on a le droit de l’impudeur et du déshonneur, quand on a si peu de distance à franchir entre la honte cachée et le scandale public?