Читаем Le Collier de la Reine - Tome II полностью

La compagne, placée à trois pas, inquiète, attentive, guetteuse comme les amies ou les duègnes des parties carrées de Watteau, dérangeait bien par son anxiété complaisante les visées toutes chastes de monsieur de Charny. Mais il est aussi dangereux d’être surprise en rendez-vous politique qu’il est honteux d’être surprise en rendez-vous d’amour. Et rien ne ressemble plus à un homme amoureux qu’un conspirateur. Tous deux ont même manteau, même susceptibilité d’oreille, même incertitude dans les jambes.

Charny n’eut pas beaucoup de temps pour approfondir ces réflexions; la suivante se dérangea et rompit l’entretien. Le cavalier fit un mouvement comme pour se prosterner; il recevait sans doute son congé après l’audience.

Charny s’effaça derrière son gros arbre. Assurément, le groupe, en se séparant, allait passer par fractions devant lui. Retenir son souffle, prier les gnomes et les sylphes d’éteindre tous les échos, soit de la terre, soit du ciel, c’était la seule chose qui lui restait à faire.

En ce moment il crut voir un objet de nuance claire glisser le long de la mante royale; le gentilhomme s’inclina vivement jusque sur l’herbe, puis se releva d’un mouvement respectueux et s’enfuit, car il serait impossible de qualifier autrement la rapidité de son départ.

Mais il fut arrêté dans sa course par la compagne de la reine, qui l’appela d’un petit cri, et, lorsqu’il se fut arrêté, lui jeta à demi-voix le mot:

– Attendez.

C’était un cavalier fort obéissant, car il s’arrêta à l’instant même et attendit.

Charny vit alors les deux femmes passer, en se tenant le bras, à deux pas de sa cachette; l’air déplacé par la robe de la reine fit onduler les tiges de gazon presque sous les mains de Charny.

Il sentit les parfums qu’il avait accoutumé d’adorer chez la reine: cette verveine mêlée au réséda; double ivresse pour ses sens et pour son souvenir.

Les femmes passèrent et disparurent.

Puis, quelques minutes après, vint l’inconnu, dont le jeune homme ne s’était plus occupé pendant tout le trajet que fit la reine jusqu’à la porte; il baisait avec passion, avec folie, une rose toute fraîche, tout embaumée, qui certainement était celle dont Charny avait remarqué la beauté quand la reine était entrée dans le parc, et que tout à l’heure il venait de voir tomber des mains de sa souveraine.

Une rose, un baiser sur cette rose! S’agissait-il d’ambassade et de secrets d’État?

Charny faillit perdre la raison. Il allait s’élancer sur cet homme et lui arracher cette fleur, quand la compagne de la reine reparut et cria:

– Venez, monseigneur!

Charny crut à la présence de quelque prince du sang, et s’appuya contre l’arbre pour ne pas se laisser tomber à demi mort sur le gazon.

L’inconnu se lança du côté d’où venait la voix et disparut avec la dame.

<p>Chapitre 19</p><p>La main de la reine</p>

Quand Charny fut rentré dans sa maison, tout meurtri de ce coup terrible, il ne trouva plus de forces contre le nouveau malheur qui le frappait.

Ainsi la Providence l’avait ramené à Versailles, lui avait donné cette cachette précieuse, uniquement pour servir sa jalousie et le mettre sur les traces d’un crime commis par la reine au mépris de toute probité conjugale, de toute dignité royale, de toute fidélité d’amour.

À n’en pas douter, l’homme ainsi reçu dans le parc était un nouvel amant. Charny, dans la fièvre de la nuit, dans le délire de son désespoir, essaya en vain de se persuader que l’homme qui avait reçu la rose était un ambassadeur, et que la rose n’était rien qu’un gage de convention secrète, destiné à remplacer une lettre trop compromettante.

Rien ne put prévaloir contre le soupçon. Il ne resta plus au malheureux Olivier que d’examiner sa conduite à lui-même et de se demander pourquoi, en présence d’un pareil malheur, il était demeuré si complètement passif.

Avec un peu de réflexion, rien n’était plus facile que de comprendre l’instinct qui avait commandé cette passivité.

Dans les plus violentes crises de la vie, l’action jaillit momentanément du fond de la nature humaine, et cet instinct qui a donné l’impulsion n’est autre chose, chez les hommes bien organisés, qu’une combinaison de l’habitude et de la réflexion poussée à son plus haut degré de vitesse et d’opportunité. Si Charny n’avait pas agi, c’est que les affaires de la souveraine ne le regardaient point; c’est qu’en montrant sa curiosité, il montrait son amour; c’est qu’en compromettant la reine, il se trahissait, et que c’est une mauvaise posture auprès des traîtres qu’on veut convaincre que la trahison par réciproque.

S’il n’avait pas agi, c’est que, pour aborder un homme honoré de la confiance royale, il fallait risquer de tomber dans une querelle odieuse, de mauvais goût, dans une sorte de guet-apens que la reine n’eût jamais pardonné.

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