La reine resta seule et désespérée. Tant de coups la frappaient à la fois, qu’elle ne savait plus de quel côté venait la plus vive douleur.
Après être demeurée une heure dans cet état de doute et d’abattement, elle se dit qu’il était temps de chercher une issue. Le danger grossissait. Le roi, fier d’une victoire remportée sur les apparences, se hâterait d’en répandre le bruit. Il pouvait arriver que ce bruit fût accueilli de telle sorte au-dehors, que tout le bénéfice de la fraude commise se trouvât perdu.
Cette fraude, hélas! comme la reine se la reprochait, comme elle eût voulu reprendre cette parole envolée, comme elle eût voulu ôter, même à Andrée, le bonheur chimérique que peut-être elle allait refuser!
En effet, ici surgissait une autre difficulté. Le nom d’Andrée avait tout sauvé devant le roi. Mais qui pouvait répondre de cet esprit capricieux, indépendant, volontaire, qu’on appelait mademoiselle de Taverney? Qui pouvait compter que cette fière personne aliénerait sa liberté, son avenir, au profit d’une reine que peu de jours avant elle avait quittée en ennemie.
Alors qu’arrivait-il? Andrée refusait, et c’était vraisemblable; tout l’échafaudage mensonger croulait. La reine devenait une intrigante de médiocre esprit, Charny un plat sigisbée, un diseur de mensonges, et la calomnie changée en accusation prenait les proportions d’un adultère incontestable.
Marie-Antoinette sentit sa raison s’égarer à ces réflexions; elle faillit céder à leur possibilité; elle plongea sa tête brûlante dans ses mains, et attendit.
À qui se fier? Qui donc était l’amie de la reine? madame de Lamballe? Oh! la pure raison, la froide et inflexible raison! Pourquoi tenter cette virginale imagination, que d’ailleurs ne voudraient pas comprendre les dames d’honneur, serviles adulatrices de la prospérité, tremblantes au souffle de la disgrâce, disposées peut-être à donner une leçon à leur reine quand elle aurait besoin d’un secours?
Il ne restait rien que mademoiselle de Taverney elle-même. C’était un cœur de diamant dont les arêtes pouvaient couper le verre, mais dont la solidité invincible, dont la pureté profonde pouvaient seules sympathiser avec les grandes douleurs d’une reine.
Marie-Antoinette irait donc trouver Andrée. Elle lui exposerait son malheur, elle la supplierait de s’immoler. Sans doute Andrée refuserait, parce qu’elle n’était pas de celles qui se laissent imposer; mais peu à peu, adoucie par ses prières, elle consentirait. Qui sait d’ailleurs alors si l’on n’obtiendrait pas un délai; si le premier feu étant passé, le roi, apaisé par le consentement apparent des deux fiancés, ne finirait point par oublier… Alors, un voyage arrangerait tout. Andrée, Charny, s’éloignant pour quelque temps, jusqu’à ce que l’hydre de la calomnie n’eût plus faim, pourraient laisser dire qu’ils s’étaient rendu leur parole à l’amiable, et nul ne devinerait alors que ce projet de mariage était un jeu.
Ainsi, la liberté de mademoiselle de Taverney n’aurait pas été compromise; celle de Charny ne s’aliénerait pas davantage. Il n’y aurait plus pour la reine cet affreux remords d’avoir sacrifié deux existences à l’égoïsme de son honneur; mais pourtant cet honneur, qui comprenait celui de son mari, celui de ses enfants, ne serait pas entamé. Elle le transmettrait sans tache à la future reine de France.
Telles étaient ses réflexions.
C’est ainsi qu’elle croyait avoir tout concilié d’avance, convenance et intérêts privés. Il fallait bien raisonner avec cette fermeté de logique, en présence d’un aussi horrible danger. Il fallait bien s’armer de toutes pièces contre un adversaire aussi difficile à combattre que mademoiselle de Taverney, quand elle écoutait son orgueil et non son cœur.
Lorsqu’elle fut préparée, Marie-Antoinette se décida au départ. Elle eût bien voulu prévenir Charny de ne faire aucune fausse démarche, mais elle en fut empêchée par l’idée que des espions la guettaient sans doute; que tout de sa part serait mal interprété en un pareil moment; et elle avait assez expérimenté le sens droit, le dévouement et la résolution d’Olivier, pour être convaincue qu’il ratifierait tout ce qu’elle jugerait à propos de faire.
Trois heures arrivèrent; le dîner en grande cérémonie, les présentations, les visites. La reine reçut tout le monde avec un visage serein et une affabilité qui n’ôtait rien à son orgueil bien connu. Elle affecta même avec ceux qu’elle jugeait être ses ennemis de montrer une fermeté qui convient peu d’ordinaire aux coupables.
Jamais l’affluence n’avait été aussi grande à la cour; jamais la curiosité n’avait aussi profondément fouillé les traits d’une reine en péril. Marie-Antoinette fit face à tout, terrassa ses ennemis, enivra ses amis; changea les indifférents en zélés, les zélés en enthousiastes; et parut si belle et si grande que le roi lui en adressa publiquement ses félicitations.