– Oui, poursuivit le roi, s’agenouiller devant la femme d’un autre, c’est un vol; et, quand cette femme est une reine, monsieur, on appelle ce crime lèse-majesté. Je vous ferai dire cela, monsieur de Charny, par mon garde des Sceaux.
Le comte allait parler; il allait protester de son innocence, lorsque la reine, impatiente dans sa générosité, ne voulut pas souffrir qu’on accusât d’indignité l’homme qu’elle aimait; elle lui vint en aide.
– Sire, dit-elle vivement, vous êtes, à ce qu’il me paraît, dans une voie de mauvais soupçons et de suppositions défavorables; ces soupçons, ces préventions tombent à faux, je vous en avertis. Je vois que le respect enchaîne la langue du comte; mais moi, qui connais le fond de son cœur, je ne le laisserai pas accuser sans le défendre.
Elle s’arrêta là, épuisée par son émotion, effrayée du mensonge qu’elle allait être forcée de trouver, éperdue enfin parce qu’elle ne le trouvait pas.
Mais cette hésitation, qui lui paraissait odieuse à elle, fier esprit de reine, c’était tout simplement le salut de la femme. En ces horribles rencontres, où souvent se jouent l’honneur, la vie de celle qu’on a surprise, une minute gagnée suffit pour sauver, comme une seconde perdue avait suffi pour perdre.
La reine, uniquement par instinct, avait saisi l’occasion du délai; elle avait arrêté court le soupçon du roi; elle avait égaré son esprit, elle avait raffermi celui du comte. Ces minutes décisives ont des ailes rapides sur lesquelles est emportée si loin la conviction d’un jaloux, qu’elle ne se retrouve presque jamais, si le démon protecteur des envieux d’amour ne la ramène sur les siennes.
– Me direz-vous, par hasard, répondit Louis XVI, tombant du rôle de roi au rôle de mari inquiet, que je n’ai pas vu monsieur de Charny agenouillé, là, devant vous, madame? Or, pour s’agenouiller sans être relevé, il faut…
– Il faut, monsieur, dit sévèrement la reine, qu’un sujet de la reine de France ait une grâce à lui demander… C’est là, je crois, un cas assez fréquent à la cour.
– Une grâce à vous demander! s’écria le roi.
– Et une grâce que je ne pouvais accorder, poursuivit la reine. Sans quoi, monsieur de Charny n’eût pas insisté, je vous jure, et je l’eusse relevé bien vite avec la joie d’accorder selon ses désirs à un gentilhomme dont je fais une estime particulière.
Charny respira. L’œil du roi était devenu indécis, son front se désarmait peu à peu de l’insolite menace que leur surprise y avait fait monter.
Pendant ce temps, Marie-Antoinette cherchait avec la rage d’être obligée de mentir, avec la douleur de ne rien trouver qui fût vraisemblable.
Elle avait cru, en s’avouant impuissante à accorder au comte la grâce qu’il sollicitait, enchaîner la curiosité du roi. Elle avait espéré que l’interrogatoire en resterait là. Elle se trompait: toute autre femme eût été plus habile en témoignant moins de raideur; mais pour elle c’était un affreux supplice de mentir devant l’homme qu’elle aimait. Se montrer sous ce jour misérable et faux de la supercherie des comédies, c’était clore toutes ces faussetés, toutes ces ruses, tous ces manèges de l’intrigue du parc par un dénouement conséquent à leur infamie; c’était presque s’en montrer coupable: c’était pire que la mort.
Elle hésita encore. Elle eût donné sa vie pour que Charny trouvât le mensonge; mais lui, le loyal gentilhomme, il ne le pouvait, il n’y pensait même pas. Il craignait trop, dans sa délicatesse, de paraître même disposé à défendre l’honneur de la reine.
Ce que nous écrivons ici en beaucoup de lignes, en trop de lignes peut-être, bien que la situation soit féconde, une demi-minute suffit aux trois acteurs pour le ressentir et l’exprimer.
Marie-Antoinette attendait, suspendue aux lèvres du roi, la question qui enfin éclata.
– Voyons, madame, dites-moi quelle est cette grâce qui, vainement sollicitée par monsieur de Charny, l’a conduit à s’agenouiller devant vous?
Et, comme pour adoucir la dureté de cette question soupçonneuse, le roi ajouta:
– Je serai peut-être plus heureux que vous, madame, et monsieur de Charny n’aura pas besoin de s’agenouiller devant moi.
– Sire, je vous ai dit que monsieur de Charny demandait une chose impossible.
– Laquelle au moins?
«Que peut-on demander à genoux… se disait la reine; que peut-on implorer de moi qu’il soit impossible d’accorder?… Voyons! voyons!»
– J’attends, dit le roi.
– Sire, c’est que… la demande de monsieur de Charny est un secret de famille.
– Il n’y a pas de secret pour le roi; maître dans son royaume, et père de famille intéressé à l’honneur, à la sûreté de tous ses sujets, qui sont ses enfants; même, ajouta Louis XVI avec une dignité redoutable, même quand ces enfants dénaturés attaquent l’honneur et la sûreté de leur père.
La reine bondit sous cette dernière menace du danger.
– Monsieur de Charny, s’écria-t-elle, l’esprit troublé, la main tremblante, monsieur de Charny voulait obtenir de moi…
– Quoi donc, madame?
– Une permission pour se marier.
– Vraiment! s’écria le roi rassuré tout d’abord.