– Vous en verrez, sire, un plus curieux; il est du garde de nuit qui veille à Trianon. Il déclare que la nuit a été bonne, qu’un coup de feu a été tiré, par des braconniers sans doute, dans le bois de Satory; que, quant aux parcs, ils ont été calmes, excepté le jour où Sa Majesté la reine y a fait une promenade avec un gentilhomme à qui elle donnait le bras. Voyez, le procès-verbal est explicite.
Le roi lut encore, frissonna et laissa tomber ses bras à son côté.
– Le troisième, continua imperturbablement
monsieur le comte de Provence, est du suisse de la porte de l’Est.
Cet homme a vu et reconnu la reine au moment où elle sortait par la
porte de la louveterie. Il dit comment la reine était vêtue;
voyez, sire; il dit aussi que de loin il n’a pu reconnaître
le gentilhomme que
– Amie de la reine! s’écria le roi furieux. Oui, il y a cela: amie de la reine!
– Ne veuillez pas de mal à cet honnête serviteur, sire; il ne peut être coupable que d’un excès de zèle. Il est chargé de garder, il garde; de veiller, il veille.
– Le dernier, continua le comte de Provence, me paraît le plus clair de tous. Il est du maître serrurier chargé de vérifier si toutes les portes sont fermées après la retraite battue. Cet homme, Votre Majesté le connaît, il certifie avoir vu entrer la reine avec un gentilhomme dans les bains d’Apollon.
Le roi, pâle et étouffant son ressentiment, arracha le papier des mains du comte et le lut.
Monsieur de Provence continua néanmoins pendant cette lecture:
– Il est vrai que madame de La Motte était dehors, à une vingtaine de pas, et que la reine ne demeura qu’une heure environ dans cette salle.
– Mais le nom du gentilhomme? s’écria le roi.
– Sire, ce n’est pas dans le rapport qu’on le nomme, il faut pour cela que Sa Majesté prenne la peine de parcourir un dernier certificat que voici. Il est d’un garde forestier qui se tenait à l’affût derrière le mur d’enceinte, près des bains d’Apollon.
– Daté du lendemain, fit le roi.
– Oui, sire, et qui a vu la reine sortir du parc par la petite porte, et regarder au-dehors: elle tenait le bras de monsieur de Charny!
– Monsieur de Charny!… s’écria le roi à demi fou de colère et de honte; bien… bien… Attendez-moi ici, comte, nous allons enfin savoir la vérité.
Et le roi s’élança hors de son cabinet.
Chapitre 33
Une dernière accusation
Au moment où le roi avait quitté la chambre de la reine, celle-ci courut au boudoir où monsieur de Charny avait pu tout entendre.
Elle en ouvrit la porte, et revint fermer elle-même celle de son appartement; puis, tombant sur un fauteuil, comme si elle eût été trop faible pour résister à de pareils chocs, elle attendit silencieusement ce que déciderait d’elle monsieur de Charny, son juge le plus redoutable.
Mais elle n’attendit pas longtemps; le comte sortit du boudoir plus triste et plus pâle qu’il n’avait jamais été.
– Eh bien? dit-elle.
– Madame, répliqua-t-il, vous voyez que tout s’oppose à ce que nous soyons amis. Si ce n’est pas ma conviction qui vous blesse, ce sera le bruit public désormais; avec le scandale qui est fait aujourd’hui, plus de repos pour moi, plus de trêve pour vous. Les ennemis, plus acharnés après cette première blessure qui vous est faite, viendront fondre sur vous pour boire le sang comme font les mouches sur la gazelle blessée…
– Vous cherchez bien longtemps, dit la reine avec mélancolie, une parole naturelle, et vous n’en trouvez pas.
– Je crois n’avoir jamais donné lieu à Votre Majesté de suspecter ma franchise, répliqua Charny; si parfois elle a éclaté, c’est avec trop de dureté; je vous en demande pardon.
– Alors, dit la reine fort émue, ce que je viens de faire, ce bruit, cette agression périlleuse contre un des plus grands seigneurs de ce royaume, mon hostilité déclarée avec l’Église, ma renommée exposée aux passions des parlements, tout cela ne vous suffit pas. Je ne parle point de la confiance à jamais ébranlée chez le roi; vous ne devez pas vous en préoccuper, n’est-ce pas?… Le roi! qu’est-ce cela… un époux!
Et elle sourit avec une amertume si douloureuse, que les larmes jaillirent de ses yeux.
– Oh! s’écria Charny, vous êtes la plus noble, la plus généreuse des femmes. Si je ne vous réponds pas sur-le-champ, comme mon cœur m’y contraint, c’est que je me sens inférieur à tout, et que je n’ose profaner ce cœur sublime en y demandant une place.
– Monsieur de Charny, vous me croyez coupable.
– Madame!…
– Monsieur de Charny, vous avez ajouté foi aux paroles du cardinal.
– Madame!…
– Monsieur de Charny, je vous somme de me dire quelle impression a faite sur vous l’attitude de monsieur de Rohan.