— Si vous y tenez, avec plaisir ; je suis en vacances, vous dis-je.
Nous partageons la banane et ma ravissante hôtesse me propose du café. Riche idée, peut-être que ça me remettra en selle ? Je m'assieds sur son divan tandis qu'elle prépare son Caoua.
— Vous vivez tout à fait seule ? lui dis-je.
Question épineuse. Elle hoche la tête.
— J'avais un ami, mais nous avons rompu.
Elle vient s'asseoir auprès de moi tandis que le caoua est en train de passer. J'ai idée que mon physique avantageux (les deux pour le prix d'une !) lui porte à la peau. Je vérifie : c'est oui. Mon bras en lasso (comme dirait Gloria) l'enlace. Elle se laisse harponner, gentille. Elle est pour le baiser ardent, Yapaksa. Les mimis dégustés avec une paille, elle n'aime pas. Ce qui lui faut c'est la grosse livraison en vrac. Après on fera le tri.
A sa frénésie je pige combien la solitude lui pesait. Les solos de mandoline ça finissait par la fatiguer, la pauvrette. Elle avait besoin qu'on lui entonne l'air de la Légion, version belge : « Tiens, voilà, du Baudouin, voilà du Baudouin ! »
Je lui refile les cours de la Bourse en morse. Elle grimpe, grimpe ! La voilà posée sur son orbite. Elle geint, elle crie, elle cause. Elle m'appelle Fernand, mais je m'en fous, je ne suis pas sectaire. Il y a tellement de nanas à travers le vaste monde qui appellent leur mari San-Antonio lorsqu'ils jouent les supermen ! D'ailleurs, malgré sa pâmoison elle se rend compte de son lapsus et s'en excuse, je lui accorde son pardon bien volontiers. Les ébats se poursuivent avec une grande courtoisie. Les pourparlers semblent rester un moment dans l'impasse ; mais une reprise du dialogue s'engage à nouveau et nous parvenons à un aboutissement heureux qui donne pleine et entière satisfaction aux deux parties. Comme je m'apprête à lui dire merci et elle à me dire encore, voilà qu'on frappe à sa porte. Nous avons une même grimace… Yapaksa me considère d'un œil morose, maudissant le fâcheux qui se permet de perturber une aussi noble partie de plaisir. On re-toque.
— Ouvrez ! lance une voix forte. Police !
J'en ai la glotte qui trépide comme une jeep dans une terre labourée. Si les poulets font une descente chez Miss Tresses, je vais avoir bonne bouille, mes frères, dans la tenue où je suis !
— Un instant ! répond la gosse.
Elle se lève tandis que je me blottis sous les draps. En tenue d'Eve, elle va jusqu'à la porte, et actionne le verrou en s'effaçant le plus possible de côté pour masquer sa nudité. Elle entrouvre imperceptiblement la lourde et coule un œil dans le couloir.
— Que me voulez-vous ? demande-t-elle.
— Vous êtes Mademoiselle Danlhavvi ?
— Oui, mais pourquoi…
Un étrange bruit se fait entendre. Ça ressemble à un petit marteau piqueur. La porte vibre et des trous s'y découpent d'une façon hallucinante. Dans un éclair je pige tout : on assaisonne Yapaksa avec un gros calibre muni d'un silencieux. Par miracle elle échappe à la terrible rafale. Et vous savez grâce à qui elle s'en sort, ma folie Alabanienne ? Grâce à ce bon commissaire San-Antonio. Merci, monsieur le commissaire, ça c'est du bol ! Vous avez été bien inspirées convoitant cette douce enfant, en l'ensorcelant, en l'accaparant, en l'annexant, en l'indexant, en la faisant mettre à loilpé. Comme elle est nue, sa pudeur l'a obligée à se tenir tout à fait en biais afin de dérober son corps d'albâtre aux regards salaces des visiteurs. Vous pigez ? Si bien que le tireur qui la mitraille au jugé ne se rend pas compte que ses valdas se perdent dans le mur d'en face. La seringuée s'achève. Je cramponne à la volée deux objets de première nécessité, à savoir : mon slip et mon revolver. D'une poussée j'écarte la gosse, plus morte que vive et je fonce dans le couloir. A la porte d'entrée, il y a un type assez menu, sanglé dans un imperméable verdâtre et coiffé d'un chapeau imperméable. Il bombe comme un perdu. La concierge crie en m'apercevant dans l'appareil où je suis. Pour calmer ses angoisses j'enfile mon slip et je sors dans la rue Saint-Martin, le pétard à la main. Vous verriez les badauds, les frimes qu'ils exposent en vitrine, mes lapins ! C'est pas racontable ! Un homme presque nu qui fonce en brandissant un revolver, ils ont jamais vu ça, jamais ! L'homme à l'imperméable vert s'est aperçu que je le coursais et il les met en passant le grand développement. Si la rue Saint-Martin était dégagée je me paierais un carton, mais j'ai trop peur d'assaisonner des innocents. D'ici pas longtemps c'est moi qu'on va choisir comme cible. Les bourdilles vont me prendre pour un dingue en crise et faire le nécessaire…
J'ai un gros avantage sur le poursuivi, je suis nu-pieds et ce ne sont pas les fringues qui me gênent pour courir.
Je gagne du terrain nettement. Dix mètres encore et il est à moi. Il le comprend et tire par-dessus son épaule gauche. La balle me siffle à l'oreille et va se perdre dans le radiateur d'un camion. Plus que six mètres.
— Arrête où tu es mort ! lancé-je.