Au lieu de répondre, il défouraille encore, mais il ne lui reste plus de pralines dans son bocal. Alors il s'engouffre sous un porche. J'y pénètre à sa suite. Il s'élance dans un escalier de bois ; moi itou (comme dirait Troulala).
Je plonge et je saisis un pan de son imper. Je tire. Cette carne défait son vêtement qui me reste dans les pognes. Il poursuit son ascension. Je continue la mienne. Il m'a repris un peu d'avance. Je l'entends qui réarme son arquebuse tout en escaladant les marches. On franchit le premier étage ; le second, puis le troisième. Au quatrième c'est le terminus : tout le monde descend. Je pige sa tactique. Il se couche sur le palier, au ras de l'escalier. Il occupe une position stratégique de première classe. Le gars Bibi ne commet pas l'imprudence de poursuivre la grimpée. Au contraire, je me hâte de redévaler, quelques marches de manière à me trouver sur le palier du troisième. Nous voici quittes, en sommes. Je ne peux plus monter, mais lui ne peut plus descendre. Je préfère ma position à la sienne. D'en bas me parvient une rumeur de foule. Puis de grosses godasses signées
— Jetez votre revolver et levez les bras ! m'ordonne un agent.
On a raison de dire que l'agent ne fait pas le bonheur.
— Ne vous tracassez pas pour moi, les gars, leur dis-je, je fait partie de la police. Appelez plutôt des renforts car il y a un type dangereux à alpaguer à l'étage au-dessus.
— Si vous ne jetez pas tout de suite votre arme, nous tirons ! répond le poulet.
Vous parlez d'un petit incrédule !
— Je suis le commissaire San-Antonio ; lui révélé-je, certain de l'épater.
— Et moi le duc de Guise, rétorque ce fin lettré qui ne doit pas rater les émissions de M. Castelot.
Pour lui un flic ne saurait se balader en slip dans les rues de Pantruche, comprenez-vous ? On est conformiste dans la rousse.
Si mon ange gardien ne me débloque pas dare-dare (comme dirait mon ami Frédéric) un crédit d'imagination, je vais me faire repasser par les archers de ma compagnie, ce qui serait un comble.
— Ne tirez pas, bon Dieu, puisque je vous répète que je suis San-Antonio. Allez au 44 de la rue, chez Mlle Danlhavvi, vous y trouverez mes fringues et mes papiers.
— Et pendant ce temps, vous…
J'ai une idée de génie.
— Le commissaire de votre quartier s'appelle Nézel. Gaston Nézel, dit Tonton ; vrai ou faux ?
Les poulardins sont troublés.
— Et avant lui c'était le commissaire Plucheux, Édouard Plucheux. Il avait une tache de vin sur la joue droite.
J'ai gagné, les gars.
— Peut-être qu'il dit vrai ? suggère le deuxième poultock.
— Je vous demande d'aller chercher des renforts. Il y a à l'étage supérieur un tueur que je veux attraper vivant…
— Pas besoin de renfort ! fanfaronne le poulet incrédule.
Il me rejoint, son pétard à la main. Au passage il me dévisage.
— En effet, soupire-t-il, je crois bien que vous êtes le commissaire San-Antonio.
— Et moi j'en suis persuadé, réponds-je. Il manque de déférence. Le tordu qui a prétendu un jour que l'habit ne faisait pas le moine devait avoir une chenille velue à la place de la cervelle. Je vous garantis qu'un superman déloqué n'impressionne plus ses subordonnés. Pour bien me prouver sa suffisance, le gardien
— Vous avez pigé, maintenant ? fais-je au second poulet. Alertez la brigade des gaz et en vitesse.
Il ne demande pas mieux que de se rabattre à l'air libre.
La détonation n'a pas fait beaucoup de bruit grâce au silencieux (c'est une marotte chez ces Alabaniens). Pourtant, les gens de l'immeuble commencent à débouler de leurs logements, alertés par le brouhaha. J'entends une porte s'ouvrir, au-dessus de moi. Un nouveau coup de feu claque. Un cri lui répond, suivi de la chute d'un corps. Je perçois un piétinement. Le tueur vient de quitter son poste de guet pour se terrer chez un locataire qu'il vient d'effacer. Je me hasarde : en effet, le palier n'est plus occupé que par un cadavre de vieux monsieur.
Le malheureux agonise avec des petites ruades tragicomiques. La vie est un mal dont on a parfois de la peine à guérir.