Etant donnй les circonstances, ajouta M. Bouc, on peut affirmer sans crainte de se tromper, que ce bouton est tombй des vкtements de l'homme qui se trouvait hier soir chez Mrs Hubbard lorsque cette personne a sonnй.
Mais, monsieur, il n'y avait personne dans le compartiment de cette dame. C'est pure imagination.
Non, Michel. L'assassin de Mr Ratchett a passй par lа et a laissй tomber ce bouton.
L'employй, saisissant nettement le sens des paroles de M. Bouc, fut en proie а une violente agitation.
C'est faux, monsieur, c'est faux ! Vous m'accusez de meurtre. Moi ? Je suis innocent ! Pourquoi aurais-je tuй ce monsieur que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam.
Oщ йtiez-vous lorsque Mrs Hubbard a sonnй ?
Je vous le rйpиte, dans l'autre voiture, en train de causer avec mon collиgue.
Nous allons l'envoyer chercher.
Je vous en prie, monsieur, faites-le venir.
On appela le conducteur de la seconde voiture, qui confirma sans hйsiter la dйclaration de Pierre Michel et ajouta que le conducteur du wagon-lit de Bucarest se trouvait йgalement avec eux. Tous trois s'йtaient entretenus du retard causй par la neige. Ils parlaient depuis une dizaine de minutes quand Michel crut entendre un coup de sonnette. Lorsqu'il ouvrit les portes de communication entre les deux voitures, tous trois entendirent distinctement la sonnerie. Michel se prйcipita pour y rйpondre.
Vous constatez que ce n'est pas moi le coupable, monsieur ! s'йcria Michel.
Alors, expliquez-nous la prйsence de ce bouton dans le compartiment de Mrs Hubbard.
J'y renonce, monsieur. Pour moi, c'est un mystиre. Il ne manque aucun bouton а mon uniforme.
Les deux autres conducteurs firent la mкme dйclaration et ajoutиrent qu'а aucun moment de la nuit ils n'avaient pйnйtrй dans le compartiment de Mrs Hubbard.
Calmez-vous, Michel, dit M. Bouc, et rйpondez encore а une question : en vous rendant а l'appel de Mrs Hubbard, n'avez-vous pas rencontrй quelqu'un dans le couloir ?
Non, monsieur.
N'avez-vous vu personne qui allait vers l'autre extrйmitй du wagon ?
Non, monsieur.
Bizarre.
Pas tant que cela, mon ami, observa Poirot. Il s'agit d'une question de minutes, Mrs Hubbard se rйveille et dйcouvre la prйsence d'un individu dans son compartiment. Pendant une minute ou deux, paralysйe par la terreur, elle ferme les yeux. L'homme se faufile alors dans le couloir. La dame sonne pour appeler le conducteur, mais celui-ci n'arrive qu'au troisiиme ou quatriиme coup de sonnette. A mon avis, c'йtait plus de temps qu'il n'en fallait.
Pour quoi faire, mon cher, pour quoi faire ? Ne perdez pas de vue que d'йpais tas de neige bloquent le train et s'amoncellent de chaque cфtй du wagon.
Il restait а nos mystйrieux assassins deux autres ressources : se rйfugier dans un des lavabos ou disparaоtre dans un des compartiments.
Mais tous йtaient occupйs.
Prйcisйment.
Vous insinuez que l'assassin aurait simplement regagnй son propre compartiment ?
C'est cela mкme.
Possible, murmura M. Bouc. Pendant les dix minutes d'absence du conducteur, le meurtrier quitte son compartiment, entre chez Ratchett, le tue, ferme la porte au verrou et met la chaоnette de sыretй а l'intйrieur, sort par le compartiment de Mrs Hubbard et rйintиgre son compartiment en toute sйcuritй avant l'apparition du conducteur.
Pour moi, les faits ne se sont pas passйs de faзon aussi simple, mon cher. Votre ami le docteur vous dira ce qu'il en pense.
D'un geste, M. Bouc congйdia les trois conducteurs.
Il nous reste huit voyageurs а interviewer, dit Poirot. Cinq de premiиre classe : la princesse Dragomiroff, le comte et la comtesse Andrenyi, le colonel Arbuthnnot et Mr Hardman ; trois voyageurs de seconde : Miss Debenham, Antonio Foscarelli et la femme de chambre, Fraulein Schmidt.
Qui voulez-vous voir en premier lieu. l'Italien ?
Vous y tenez а votre Italien ! Non, commenзons plutфt par le dessus du panier. Madame la princesse consentira peut-кtre а nous sacrifier quelques instants de son temps prйcieux. Voulez-vous lui transmettre ce message, Michel ?
Oui, monsieur, dit Michel, qui s'en allait а ce moment.
Dites-lui que nous nous rendront dans son compartiment si cela l'ennuie de venir jusqu'ici, ajouta M. Bouc.
La princesse Dragomiroff prit la peine de se dйranger et, aprиs un lйger salut, s'assit devant Poirot.
Sa petite figure de crapaud paraissait encore plus jaune que la veille. Certes, la princesse йtait laide, mais tout comme le crapaud, elle possйdait deux yeux magnifiques. Sombres et brillants comme deux diamants noirs, ces yeux reflйtaient une йnergie latente et une intelligence supйrieure. De sa voix grave et courtoise, elle coupa court aux excuses cйrйmonieuses de M. Bouc.
Inutile de vous excuser, messieurs. Un meurtre a йtй commis dans ce train, il est naturel que vous interrogiez tous les voyageurs. Pour ma part, je serai heureuse de vous fournir tous les йclaircissements possibles.
Vous кtes on ne peut plus aimable, madame, lui dit Poirot.
Mais non, je remplis simplement mon devoir. Que dйsirez-vous apprendre de
moi ?