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Des anonymes, il en mourait tous les jours par milliers dans le monde. Mais Kallenberg, tout métèque qu'il fût, ne fêtait Noël qu'une fois par an, la nuit du 13 août.


La pièce aurait pu être une salle d'école, un bureau de conférences, mais elle faisait irrésistiblement penser à une chapelle, bien qu'elle n'en fût pas une non plus. Devant une table recouverte d'une longue pièce de tissu orange, il y avait cinq rangées de chaises occupées par les vingt privilégiés qui avaient eu la chance insigne d'approcher « le Prophète », d'être reçus par lui, dames d'un certain âge et messieurs raisonnablement mûrs, tous vêtus avec une certaine recherche et visiblement soignés de leur personne. De temps en temps, l'un d'eux se levait sur un geste du maître un homme remarquable à force de ressembler à n'importe qui, de taille moyenne, sec et nerveux, chauve, la soixantaine parfaitement conservée :

« Je vous écoute. »

Invariablement, les discours du Prophète commençaient et s'achevaient par cette formule qui, chez lui, n'était pas un vain mot : à partir du moment où il avait dit « je vous écoute », il n'ouvrait absolument plus la bouche, se contentant effectivement d'écouter ce qu'on avait à lui dire sans jamais faire le moindre commentaire. Pourtant, malgré son apparence insignifiante, son pouvoir charismatique était tel que ses interlocuteurs oubliaient instantanément la présence environnante des autres témoins à l'affût de leur histoire, stupéfaits de s'entendre dévoiler à voix haute et en public des secrets si intimes qu'ils ne se les étaient jamais avoués à eux-mêmes. Puis, abasourdi d'avoir osé accomplir un acte aussi énorme, on retournait s'asseoir à sa place, redevenant auditeur anonyme après avoir été orateur.

C'était un mardi, que le Prophète avait baptisé le « jour de ses pauvres ». Chaque semaine, il consacrait un après-midi à recevoir collectivement et gratuitement ceux qui n'étaient pas assez riches ou importants pour le consulter en privé. Ainsi avait-il l'impression de se dédouaner vis-à-vis de la chance qui l'accompagnait depuis six ans. Ce jour-là, il laissait au vestiaire ses tarots, ses cartes du ciel et sa boule de cristal, ouvrant les portes de sa maison à « ses pauvres ». Rituellement, la séance durait de quatorze à dix-huit heures. Apparemment, au nombre de fidèles qui attendaient leur tour depuis des mois pour être admis dans le saint des saints, le mutisme total du Prophète avait du bon : ses visiteurs le quittaient en état de grâce pour répandre la bonne parole dans tout le Portugal, cette parole que précisément il n'avait pas dite. Les autres jours de la semaine étaient consacrés aux affaires sérieuses, à sa clientèle privée prête à lâcher n'importe quelle somme pour passer une heure en tête-à-tête avec lui. Déjà célèbre pour le nombre de ses têtes couronnées à l'hectare, la station d'Estoril tirait un renom supplémentaire de la présence dans ses parages du « Prophète de Cascais ».

Un homme d'une soixantaine d'années, grand et distingué, vint se placer devant la table où officiait le mage… « Je vous écoute… », dit le Prophète.

L'homme réfléchit longuement, chercha ses mots et démarra d'une façon déconcertante. Il dit :

« Je suis un con. »

D'un signe de tête, le Prophète manifesta qu'il prenait bonne note. Libéré par cet aveu qu'il contenait sans doute depuis des années, l'homme en exposa les raisons en détail, invoquant sa vie qu'il avait ratée, sa femme qui l'avait abandonné, ses enfants qui ne l'aimaient plus, malgré les sacrifices consentis à leur égard pendant toute son existence. Il était cinq heures juste. Par-dessus les têtes fascinées de ses consultants, le Prophète vit le visage habituellement impassible de Mario, son maître d'hôtel, s'encadrer dans le battant de la porte et lui grimacer des signes…

« Et pourquoi donc, continuait l'homme distingué, ai-je fait tout cela au lieu de m'amuser comme les autres? Au nom de quoi? »

Le Prophète le coupa d'un geste et invita Mario à venir lui parler. Pour que son domestique interrompît la séance, il fallait que son « motif fût sérieux. Le Prophète craignait toujours que, malgré ses précautions, un journaliste plus acharné que les autres ne parvînt à déterminer son passé. Avec malaise, il écouta ce que lui chuchotait Mario. Son visage se rasséréna et, à son tour, il lui glissa une phrase dans le creux de l'oreille. Mario acquiesça. Il se retourna vers les fidèles :

« Le Prophète vous prie de vous retirer. »

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