Sur les deux autres, Kallenberg avait exposé des gravures représentant les premiers navires de commerce, à l'époque où la marine à voile s'apprêtait à rendre les armes devant la machine : le
Un jour, en Égypte, le gros Farouk lui avait dit :
« Je suis prêt à vous racheter toute votre flotte. Mais dites-moi, que ferez-vous de l'argent? »
L'argent, oui, mais pour quoi faire? Finalement, tout tournait autour de la même question. Elle restait posée pour lui, qui pouvait tout acheter, ou pour la putain de Soho, qui n'avait qu'elle à vendre. Barbe-Bleue avait répondu d'un trait, sans réfléchir :
« J'achèterai une nouvelle flotte pour vous faire concurrence. »
Maintenant, si on lui avait demandé pourquoi il voulait toujours faire concurrence à tout le monde, il aurait été bien embarrassé. Et après? L'essentiel n'était pas de chercher à savoir « pourquoi » on courait, mais de courir, de sentir « comment » on courait. Dans sa famille, à Hambourg, on était pirate de père en fils depuis des siècles. Aussi loin qu'on remontait, on trouvait un Kallenberg debout sur un navire, à la poursuite d'une proie. Pour rompre la tradition, son père, qui sur le tard s'était piqué d'honorabilité, avait souhaité qu'il devînt diplomate; n'épargnant aucun effort pour qu'il y arrivât. Alors qu'il ne pensait qu'à la mer, Herman s'était vu exilé en Suisse, dérision dont il était le seul à goûter l'amertume. Il se lia surtout avec des fils d'émirs, des fils de banquiers, ne perdant jamais de vue son but unique, régner un jour sur les océans.