— Que voulez-vous dire?
— Il faut vous l'attacher davantage, de façon qu'il ne puisse pas rompre le lien quand il en aura envie. Croyez-vous que Kallenberg va laisser tomber la partie comme ça?
— Non.
— Il nous faut donc agir très vite pour qu'il ne nous prenne pas de vitesse.
— Que peut-il faire? Il est hors du coup.
— C'est vous qui le dites. Ce qu'il n'a pas pu obtenir par la persuasion, il peut l'avoir par d'autres moyens.
— Lesquels?
— L'émir doit avoir des points faibles. Votre beau-frère peut s'y attaquer.
— J'ai un contrat.
— Pour les Arabes, ce n'est que du papier, zéro.
— Alors, quoi?
— Comment règne-t-il, votre type?
— Il a une espèce de pouvoir religieux et un ascendant certain sur tous ses pairs.
— Basé sur quoi? »
Satrapoulos commençait à voir où le Prophète voulait en venir. C'était adroit. Il répondit :
« Sur une vie ascétique, un soi-disant désintéressement, une marque de fabrique de prétendue pureté.
— Vous y êtes?
— Presque.
— Vous voyez bien qu'il y a toujours un moyen…
— Oui, mais… comment?
— Il faut d'abord que je consulte mes tarots et votre carte du ciel pour savoir quel est le moment le plus favorable. Ensuite, nous réglerons les détails de l'opération. Et je vous garantis que, cette fois, vous le tiendrez solidement!
— Croyez-vous que Kallenberg ait pu avoir la même idée?
— Pas encore, non. Mais dans huit ou dix jours. Autant être les premiers. Voyons cela… »
D'un geste coulé, le Prophète étala les cartes sur la feutrine rouge de sa table de voyance. Le Grec le regardait, fasciné, avide de savoir à quelle sauce il allait devoir accommoder son destin.
Après cette incroyable conférence de presse, Raph Dun avait préféré se mettre au vert et disparaître pendant quelque temps. On était dans la deuxième partie du mois d'août, période paradoxale où les passions s'accroissent à mesure que le soleil perd de sa force, jusqu'à ce que l'automne fasse rentrer tout le monde dans le rang. Il n'avait même pas pris la peine de téléphoner à Orly pour avoir l'horaire des avions en partance pour Nice. Il avait empilé quelques affaires d'été dans un sac de cuir de chez Vuitton, afin que nul n'en ignore, et s'était fait conduire en taxi à l'aéroport. Une heure plus tard, il survolait les monts du Lyonnais, tâchant de résoudre un délicat problème : chez qui débarquer?
La difficulté consistait à ne froisser personne. Il connaissait trop de monde, sa silhouette était célèbre sur la Côte d'Azur et il risquait de fâcher dix personnes pour avoir choisi de résider chez la onzième. Il se fia donc au hasard, son grand maître, à peu près certain qu'une rencontre fortuite le tirerait de son embarras. Il avait jugé plus prudent de ne pas téléphoner à Mike, sachant bien que le rédacteur en chef de la S.I.A. exigerait la restitution immédiate des sommes qu'il lui avait avancées. Malheureusement, cet argent était déjà parti dans la poche du directeur d'un garage où sa Ferrari était tenue en gage pour cause de traites impayées.
La vie était difficile… Il y avait pourtant un moyen de rétablir l'équilibre, un moyen miraculeux, incomparable : le Palm-Beach de Cannes où il lui était arrivé très souvent de pénétrer sans un sou et sans espoir de crédit et d'en ressortir, toutes dettes payées, avec un très joli paquet. Évidemment, ça ne marchait pas à tous les coups, mais où était le risque? Il ne pouvait pas perdre, puisqu'il n'avait rien. Par conséquent, il ne pouvait que gagner. Lancinante, une petite voix essayait de placer son couplet démoralisant : « Et si tu t'endettes encore plus? » Mais Dun refusait de l'entendre. Il avait déjà assez d'ennuis pour accepter la marche funèbre d'un sermon et laisser détruire le peu d'enthousiasme qui lui restait. Il verrait bien s'il était en forme.