« Ce doit être vers le fond, je suppose, murmura Sam. Toute la Tour grimpe comme en reculant. Et puis, je ferais mieux de suivre la lumière. »
Il avança dans le couloir, mais sa démarche se ralentit, toujours plus hésitante. La terreur le rattrapait. Il n’y avait pas un son hormis le bruit de ses pas, lequel semblait retentir comme de larges mains frappant sur la pierre. Les cadavres, le vide, les murs suintants et noirs qui, à la lueur des torches, semblaient dégouliner de sang, la crainte d’une mort soudaine tapie dans l’ombre d’une porte et, dans l’arrière-fond de sa pensée, la malveillance sournoise et attentive à l’entrée de la Tour : c’en était presque trop pour lui. Il aurait bien voulu en découdre – sans trop d’adversaires à la fois – plutôt que de rester dans cette affreuse et écrasante incertitude. Il s’efforça de penser à Frodo étendu – ligoté, souffrant ou mort – quelque part dans cet endroit horrible. Il se pressa en avant.
Il avait passé la lumière des torches et se trouvait devant un grand portail voûté au bout du couloir – l’envers de la porte souterraine, comme il le devina –, lorsqu’il entendit un hurlement venu d’en haut, un horrible cri étranglé. Il s’arrêta net. Puis des échos retentirent au-dessus de lui. Quelqu’un dévalait un escalier à toutes jambes.
Sa volonté fut trop faible et trop lente pour retenir sa main qui, tirant sur la chaîne, se referma sur l’Anneau. Mais Sam ne le passa pas à son doigt ; car au moment où il le pressait contre son sein, un orque surgit avec fracas. Jaillissant d’une sombre ouverture à sa droite, il fonça vers lui. Il était tout juste à six pas quand, levant la tête, il le vit ; et Sam put entendre sa respiration haletante et voir la lueur de ses yeux injectés de sang. L’orque s’arrêta court, atterré. Car il ne vit pas un petit hobbit effrayé dont la main vacillante peinait à tenir son arme ; il vit une grande forme silencieuse, enveloppée d’une ombre grise, se détachant sur le clignotement de lumière : l’une de ses mains tenait une lame dont l’éclat même était une douleur cuisante, l’autre était serrée contre sa poitrine, mais elle recelait une menace sans nom, de puissance et de ruine.
L’orque se recroquevilla un moment, puis, avec un horrible glapissement de peur, il se retourna et s’enfuit comme il était venu. Jamais aucun chien ne fut plus emballé de voir son ennemi montrer les talons que Sam devant cette fuite inespérée. Il donna la chasse avec un cri.
« Oui ! Le guerrier elfe court toujours ! lança-t-il. J’arrive. Mais tu me montres le chemin, ou je vais t’écorcher ! »
L’orque était toutefois chez lui, agile et bien nourri. Sam était un étranger, affamé et fourbu. L’escalier était haut, raide, et en colimaçon. Sam se mit à souffler. L’orque était vite passé hors de vue, et le claquement de ses pieds sur les marches ne s’entendait plus que faiblement. De temps en temps, il poussait un cri, et l’écho en courait le long des murs. Mais peu à peu, les sons s’éteignirent complètement.
Sam poursuivit sa pénible ascension. Se sentant sur la bonne voie, il avait repris courage. Il lâcha l’Anneau et serra sa ceinture. « Eh bien ! dit-il. S’ils deviennent tous aussi frileux envers moi et mon Dard, ça pourrait mieux finir que ce que j’espérais. Et puis, il semble bien que Shagrat, Gorbag et compagnie ont fait presque tout le boulot à ma place. À part ce petit rat effarouché, c’est à croire qu’il reste plus personne de vivant ! »
Là-dessus, il s’arrêta brutalement, comme s’il venait de se frapper la tête contre le mur de pierre. La pleine portée de ses paroles l’avait heurté de plein fouet. Plus personne de vivant ! Qui avait poussé ce cri horrible, ce hurlement de mort ? « Frodo, Frodo ! Maître ! cria-t-il presque sanglotant. S’ils vous ont tué, qu’est-ce que je vais faire ? Mais j’arrive enfin, tout en haut, pour voir ce qu’il faudra. »
Il monta, encore et encore. Il faisait sombre, sauf ici et là, où une torche brûlait derrière un tournant, ou près d’une ouverture donnant accès aux étages supérieurs de la Tour. Sam voulut compter les marches, mais il perdit le compte après deux cents. Il allait en silence, à présent ; car il croyait entendre des voix qui parlaient là-haut, encore à quelque distance. Il y avait encore plus d’un rat vivant, à ce qu’il semblait.