Читаем Le Serment des limbes полностью

— Au fond, ce que j’aimais, c’était ce secret, cette douleur. Et la honte. Cette espèce de… dégradation. Comme quand on picole, tu vois ? On savoure chaque gorgée et en même temps, on sait qu’on est en train de se détruire, de tomber un peu plus bas à chaque verre.

Joignant le geste à la parole, elle vida sa vodka d’un trait et continua :

— Je crois… Enfin, ce goût de mort, d’interdit, me rappelait ma propre vie. Ma familiarité avec le néant, le secret. (Elle posa sa main sur la mienne.) Je suis pas sûre de pouvoir vivre une histoire limpide, mon ange. (Elle rit à nouveau, avec légèreté, mais sans gaieté.) Je suis faite pour le trash ! J’ai des goûts de zombie.

Si elle cherchait un mort vivant, j’étais son homme. Moi-même, depuis le Rwanda, j’appartenais à la mort. Toujours cette greffe qui n’avait pas pris mais qui était là, au fond de moi, parasitant chaque instant de mon existence… Les crissements du fer, la voix grésillante des radios, les corps rebondissant sous mes roues, comme des battements de cœur. Et la femme que je n’avais pas su sauver…

Je remplis nos verres et trinquai, rassuré. Cet épisode n’altérait pas la pureté de Manon. Elle avait beau dire, rien n’entachait son innocence. Même si cette innocence provenait d’une enfance maléfique et d’un fait divers atroce. Même si son seul souvenir amoureux était une aventure adultère.

Je sentais chez elle une exigence, une rigueur que je reconnaissais. Une forme de transparence qui n’avait rien à voir avec la virginité mais qui tirait au contraire sa force des épreuves, des souillures. Une aspiration, un appel spirituel, qui s’élevait au-dessus des abîmes, et puisait sa beauté dans le combat.

Elle dit tout à coup, attrapant son manteau :

— On y va, non ?

On marcha dans le brouillard, planant au-dessus de nos propres corps. Toute la ville paraissait instable, irréelle. Immeubles, monuments, chaussées flottaient dans les brumes, comme une immense navette spatiale, décollant dans un nuage de fumée. Je n’avais aucune idée de l’heure. Peut-être minuit. Peut-être plus tard. Mais je n’étais pas assez soûl pour oublier le danger, toujours présent. Les Asservis, qui rôdaient dans la ville à la recherche de Manon… Je ne cessais de me retourner, de scruter les impasses, les porches. J’avais emporté mon Glock ce soir, mais ma vigilance en avait pris un sérieux coup. Je priais pour que les cerbères de Zamorski soient toujours sur nos traces — et qu’ils aient moins bu que moi.

Le chemin n’en finissait pas. Le repère était le Planty, le grand parc qui ceinture la vieille ville. Une fois les jardins trouvés, il n’y avait plus qu’à les suivre et se laisser glisser vers le centre.

Sous le porche de Scholastyka, Manon attrapa la cloche. Un homme sans visage ni col romain nous ouvrit. Nous l’accueillîmes d’un éclat de rire, vacillant sur nos jambes en coton.

Nous marchâmes dans la galerie, en silence. Je ne riais plus. Je voyais approcher l’intersection des deux « L » avec angoisse. Le moment de se séparer, le moment de dire quelque chose… Je me triturais l’esprit pour trouver une formule, un geste, qui ne serait pas une action, mais une invitation.

La porte fut là alors que je me creusais encore la tête. Manon vivait dans la partie des bénédictines. J’allais balbutier quelques mots quand Manon posa ses doigts sur ma nuque. Sa langue glissa dans ma bouche et épela d’autres mots — ceux que je n’aurais jamais trouvés. Je reculai contre le mur. Je sentis la pierre froide, contre mon dos, alors que Manon pressait toujours mes lèvres à m’étouffer.

Je me dégageai de l’étreinte, tout en me tenant encore à elle. Il fallait que je me reprenne, sous peine de tomber dans les vapes. Manon m’observait dans l’ombre. Elle avait pris dix ans. Son émotion avait gravé ses traits, les avait transformés en rides de force. Ses yeux étaient devenus aussi noirs que des quartz volcaniques. Des panaches de vapeur s’échappaient de ses lèvres haletantes.

Je la sentais entre mes mains, ivre, décoiffée, volontaire, et je devinais une sorte d’effort de son visage pour ne pas disparaître, ne pas s’effacer dans la nuit. Cette fois, je pris les devants et plongeai de nouveau vers sa bouche.

Mais elle m’arrêta, murmurant :

— Non. Viens.

90

D’abord, le froid de sa chambre. Puis la porte, qui se referme dans son dos quand je l’embrasse, la poussant de mes lèvres contre le bois. Je lui ôte son manteau, elle arrache le mien. Nos gestes sont maladroits, entravés. Nos bouches sont rivées l’une à l’autre. Et toujours, l’immensité glacée nous entoure…

Nous tombons sur le lit. Je lui retire son pull. Sa respiration vrille mon oreille. Dans la pénombre, sa peau se dévoile, son soutien-gorge jaillit et j’ai physiquement mal — mon désir est un éclatement, une fissure. Son visage, plein de nuit, ne m’a jamais semblé aussi pur, aussi angélique, alors que son corps réveille en moi un empire, un monde enfoui que j’ai toujours récusé. Je chute, et je me nourris, intensément, de cette chute.

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