Je ne songeais pas à Rose;Rose au bois vint avec moi;Nous parlions de quelque chose,Mais je ne sais plus de quoi.J’étais froid comme les marbres;Je marchais à pas distraits;Je parlais des fleurs, des arbres;Son œil semblait dire: «Après?»La rosée offrait ses perles,Le taillis ses parasols;J’allais; j’écoutais les merles,Et Rose les rossignols.Moi, seize ans, et l’air morose;Elle, vingt; ses yeux brillaient.Les rossignols chantaient Rose,Et les merles me sifflaient.Rose, droite sur ses hanches,Leva son beau bras tremblantPour prendre une mûre aux branches;Je ne vis pas son bras blanc.Une eau courait, fraîche et creuseSur les mousses de velours;Et la nature amoureuseDormait dans les grands bois sourds.Rose défit sa chaussure,Et mit, d’un air ingénu,Son petit pied dans l’eau pure;Je ne vis pas son pied nu.Je ne savais que lui dire;Je la suivais dans le bois,La voyant parfois sourireEt soupirer quelquefois.Je ne vis qu’elle était belleQu’en sortant des grands bois sourds.«Soit; n’y pensons plus!» dit-elle.Depuis, j’y pense toujours.
Paris, juin 1831.
XX. À un poëte aveugle
Merci, poëte! – au seuil de mes lares pieux,Comme un hôte divin, tu viens et te dévoiles;Et l’auréole d’or de tes vers radieuxBrille autour de mon nom comme un cercle d’étoiles.Chante! Milton chantait; chante! Homère a chanté.Le poëte des sens perce la triste brume;L’aveugle voit dans l’ombre un monde de clarté.Quand l’œil du corps s’éteint, l’œil de l’esprit s’allume.
Paris, mai 1842.
XXI .
Elle était déchaussée, elle était décoiffée,Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants;Moi qui passais par là, je crus voir une fée,Et je lui dis: Veux-tu t’en venir dans les champs?Elle me regarda de ce regard suprêmeQui reste à la beauté quand nous en triomphons,Et je lui dis: Veux-tu, c’est le mois où l’on aime,Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds?Elle essuya ses pieds à l’herbe de la rive;Elle me regarda pour la seconde fois,Et la belle folâtre alors devint pensive.Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois!Comme l’eau caressait doucement le rivage!Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,La belle fille heureuse, effarée et sauvage,Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.