Notre génération n'aura sans doute jamais les moyens de le vérifier. Mais ce que nous savons, c'est qu'il y a bien longtemps notre univers, ou en tout cas la particule qui contient notre univers, était vide, froid, noir, immobile. Et puis quelqu'un ou quelque chose a provoqué la crise. On a tourné une page, on a marché sur une pierre, on a raclé la mousse d'une canette de bière. Toujours est-il qu'il y a eu un traumatisme. Notre particule s'est réveillée. Chez nous, on le sait, ça a été une gigantesque explosion. On l'a nommée Big Bang Chaque seconde, dans l'infiniment grand,dans l'infinimentpetit, dans l'infiniment lointain, il y a peut-être un univers qui naît comme le nôtre est né il y a plus de quinze milliards d'années. Les autres, on ne les connaît pas. Mais pour le nôtre on sait que ça a commencé par l'explosion de l'atome le plus petit et le plus «simple»: l'hydrogène. Imaginez donc ce vaste espace de silence soudain réveillé par, ne déflagration titanesque. Pourquoi a-t-on tourné la page, là-haut? Pourquoi a-t-on raclé la mousse de la bière? Peu importe. Toujours est-il que l'hydrogène brûle, explose, grille. Une lumière immense raye l'espace immaculé. Crise. Les choses immobiles prennent un mouvement. Les choses froides chauffent. Les choses silencieuses bourdonnent. Dans le brasier initial l'hydrogène se transforme en hélium, l'atome à peine plus complexe que lui. Mais déjà, de cette transformation on peut déduire la première grande règle du jeu de notre univers:
TOUJOURS PLUS COMPLEXE.
Cette règle semble évidente. Mais rien neprouve que dans les univers voisins elle nesoit pas différente. Ailleurs, c'est peut-être
TOUJOURS PLUS CHAUD, OU
TOUJOURS PLUS DUR ou TOUJOURS PLUS DRÔLE
Chez nous aussi les choses deviennent pluschaudes, ou plus dures ou plus drôles,
maisce n'est pas la loi initiale. Ce ne sont quedes à-côtés. Notre loi racine, celle autour delaquelle s'organisent toutes les autres, est:
TOUJOURS PLUS COMPLEXE.
Edmond Wells
Encyclopédie du savoir relatif et absolu.
Le 327e mâle erre dans les couloirs du sud de la ville. Il n'est pas calmé. Il remâche la fameuse phrase:
Explorateur il a été la patte, Sur place il a été l'œil, De retour il est le stimulus nerveux. Pourquoi ça ne marche pas? Où est l'erreur? Son corps bouillonne de l'information non traitée. Pour lui, la Meute a été blessée et elle ne s'en est même pas aperçue. Or le stimulus de douleur, c'est lui. C'est donc lui qui doit faire réagir la Cité.
Oh, comme il est dur de détenir un message de souffrance, de le garder en soi, sans trouver aucune antenne qui veuille le recevoir! Il aimerait tant se décharger de tout ce poids, partager avec d'autres ce terrible savoir.
Une fourmi messagère thermique passe près de lui. Le sentant déprimé, elle croit qu'il est mal réveillé et lui offre ses calories solaires.
Cela lui redonne un peu de force, qu'il utilise tout de suite pour essayer de la convaincre.
Alerte, une expédition a été détruite dans une embuscade tendue par des naines, alerte!
Mais il n'a même plus les accents de vérité du début.