On a dit – et c’est la princesse Palatine, la belle-sœur cancanière de Louis XIV qui l’affirme (l’invente) – que c’était un milord anglais compromis dans un complot qu’elle n’a d’ailleurs pas trop su expliquer. On a dit aussi que cet homme mystérieux était l’enfant secret de Mazarin et d’Anne d’Autriche. On a prétendu que c’était l’un des nombreux fils naturels du Roi-Soleil, et qu’il l’aurait mis à l’ombre ! On a dit encore que cet individu, compromis dans les affaires mazarines, avait été chargé par le parti dévot, d’empoisonner Fouquet – le masque de fer s’installe à Pignerol le 2 mai 1679, Fouquet meurt à Pignerol le 23 mars 1680, bizarre coïncidence… Certains affirment que c’était un bâtard de Charles II, ou bien un patriarche arménien, ou bien le chevalier de Rohan, sans oublier Molière dont on se demande bien quel rôle on lui aurait fait jouer sous ce masque…
On a dit enfin que le masque de fer, mort finalement à la Bastille en 1703, était un certain comte Hercule-Antoine Mattioli, ou Marchioli, ou de Marchiel, né à Boulogne le 13 décembre 1640. Mattioli s’est marié avec Camilla Paleotti, il en a eu deux enfants. Au service du duc de Mantoue, il trahit son maître en révélant contre de l’argent les conditions particulières de l’achat de la place forte par Louis XIV. Celui-ci le fait enlever à Venise (avec son masque ?) et enfermer à Pignerol. C’est donc une sorte d’agent double de la finance qui, après Pignerol, est transféré à la Bastille en 1698. C’est là qu’il meurt le 19 novembre 1703. Louis XIV confia sur son lit de mort le secret du masque de fer au régent Philippe d’Orléans. Et le régent ne voulut jamais révéler ce que Louis XIV avait dit. Peut-être que, tout simplement, n’ayant rien compris, il n’avait pas osé faire répéter…
Les Dames Noires, la démence d’une jeune fille, un père huguenot, et puis la mort qui survient après une disparition. Tous les ingrédients sont réunis, en janvier 1762, pour condamner à mort un innocent. Mais Voltaire veille…
Le 6 mars 1760, Pierre-Paul Sirven, notaire à Castres et huguenot, constate la disparition de l’une de ses trois filles, handicapée mentale, Élisabeth. Après une courte enquête, elle est retrouvée chez les Dames Noires, une institution catholique recueillant les filles de protestants enfermées par lettre de cachet. Malgré sa douleur, il se tait, mais le 9 octobre 1760, Élisabeth est victime de crises de démence consécutives aux mauvais traitements dont elle est victime. L’évêché décide alors de la rendre à ses parents. Les Sirven s’installent à Saint-Ably, près de Mazamet. Le 16 décembre, Élisabeth disparaît. Le 3 janvier 1762, trois enfants découvrent son cadavre au fond d’un puits. Le 20 janvier, les Sirven que la rumeur accuse du meurtre de leur fille ont le temps de s’enfuir en Suisse.
Le 29 mars 1764, Sirven est condamné par contumace à la roue, sa femme à la pendaison et ses deux filles au bannissement. À Mazamet, on brûle leur effigie sur la place le 11 septembre ! Les Sirven prennent alors contact avec Voltaire qui, sept ans plus tard, va obtenir une révision du procès. Afin que celui-ci se déroule de nouveau, Sirven se constitue prisonnier, il est incarcéré à Mazamet. Le traumatisme causé par l’exécution, en 1762, du protestant Jean Calas qui était innocent, conduit les juges à reconstruire sans les excès du fanatisme toute la vérité. Le 25 septembre 1771, le Parlement de Toulouse prononce la cassation du jugement de Mazamet (1764). La ville de Mazamet est contrainte de verser une indemnisation à la famille Sirven.
Un commerçant protestant dans une population catholique. Son fils meurt. La rumeur catholique se déchaîne. Une situation idéale pour que se déploie la verve de Voltaire.
Jean Calas, né près de Castres en 1698, de famille protestante, épouse en 1731, Anne-Rose Cabibel, protestante comme lui. Il s’établit comme marchand linger, rue des Filatiers à Toulouse. Le couple donne naissance à quatre enfants : Marc-Antoine, Pierre, Louis et Donat. En 1756, sans doute sous l’influence de la très pieuse – et catholique – servante des Calas, Jeanne Viguière, Louis Calas se convertit au catholicisme. Trois ans plus tard, son frère est reçu bachelier en droit, mais ne pouvant soutenir sa licence parce qu’il est protestant, il envisage lui aussi de se convertir au catholicisme.