Pour remercier un couple de voisins d’un service rendu, Maggie n’avait pas ménagé sa peine. Le plat principal allait être servi, et sa petite famille n’avait pu s’empêcher de faire des effets d’annonce. Fred avait prétendu avoir épousé Maggie pour son corps mais être resté avec elle pour ses
— Maggie, non seulement ce plat est ce que j’ai mangé de meilleur de toute ma vie, dit le mari, mais c’est aussi le meilleur que je mangerai jamais.
— Ne dites pas ça devant votre femme, Étienne.
— Je suis entièrement d’accord avec lui, ajouta celle-ci. Mon père était cuisinier chez Lepage, à Lyon. J’aurais aimé qu’il soit encore des nôtres pour pouvoir goûter à vos aubergines.
Maggie savait combien ses
Pourquoi chercher plus loin que l’évidence, pourquoi espérer mieux que la perfection ? Elle n’aurait pas la destinée d’une sainte, pas plus qu’elle ne se voyait vieillir en dame patronnesse, alors pourquoi se priver de l’idée folle d’exprimer son seul talent dans un lieu où le partager avec des inconnus ? À cinquante ans passés, allait-elle se résoudre à vivre en deçà d’elle-même, à nier son désir de bien faire, à freiner son énergie capable de soulever des montagnes, et à oublier l’idée d’épater Dieu pour s’attirer ses bonnes grâces ?
Belle, elle l’était depuis toujours. Avant leur exil, dans la maison de Newark, voisins et amis admettaient que, même comparée à leur propre fille, celle des Manzoni avait la grâce d’une madone. « Faites-lui faire des publicités ! Des concours de mini miss ! »
Belle n’avait pas même eu le temps de subir de telles épreuves : son enfance de princesse avait été bouleversée par le témoignage de son père au « Procès des cinq familles ». Les Manzoni avaient été mis en quarantaine, condamnés à la clandestinité et à la fuite permanente. Belle avait dû attendre son arrivée en France pour se montrer à nouveau au grand jour et retrouver son éclat. Par chance, elle avait gardé intactes sa fraîcheur et sa spontanéité, elle était restée curieuse des autres et n’en voulait pas à son père du chemin de croix qu’il leur avait imposé.
Désormais, elle avait quitté le programme Witsec, pris son indépendance et commencé sa vie de jeune femme comme les autres. Mais qu’elle le veuille ou non, Belle n’était pas comme les autres. Elle vivait à Paris, dans un petit meublé de la rue d’Assas, dont elle ne partirait pas tant qu’elle n’aurait pas terminé ses études de psycho. « Pourquoi psycho ? » lui avait demandé sa mère, qui n’avait pas volé la réponse : « Compte tenu des variétés très particulières de stress et de perturbations nerveuses que j’ai vécues depuis l’enfance, je me suis dit qu’une phase théorique m’aiderait à étayer une base pratique déjà solide. » Belle n’acceptait aucune aide de ses parents et avait, dans un premier temps, refusé de gagner le moindre sou grâce à son physique. Pourtant, après divers jobs de serveuse mal payés, lassée de se faire draguer par deux clients sur trois, elle avait dû revenir sur ses beaux principes. Pendant qu’elle jouait les hôtesses d’accueil lors d’un congrès médical, une collègue lui avait assuré qu’en une séance de pose pour une affiche publicitaire, elle pourrait gagner l’équivalent d’un temps plein au Salon de l’auto.