Maintenant, la maison s’était dépeuplée pour les laisser seuls,
Du temps de leur splendeur, quand les Manzoni vivaient dans un palace du quartier résidentiel de Newark, la piscine était praticable tout au long de l’année. Fred s’était débarrassé de cette corvée en faisant appel à une compagnie qui avait eu l’imprudence de lui envoyer un jeune étudiant, beau et bronzé, très efficace dans son travail et très aimable avec les clients. Mais les préjugés ont la vie dure et, aux yeux d’un Giovanni Manzoni, un
Derrière la fenêtre d’une petite bicoque, à quelques mètres en surplomb, Fred devina la silhouette de Peter Bowles, son cerbère du FBI qui l’accompagnait dans tous ses déplacements, filtrait ses appels et lisait son courrier avant lui. Cet homme-là était devenu son ombre et lui collait aux basques comme une mauvaise conscience. Et Bowles, en regardant ce salaud de gangster se pavaner au bord d’une piscine, pendant que lui, fidèle représentant de la loi et l’ordre, se voyait confiné dans sa soupente, glacée l’hiver et étouffante l’été, se disait qu’il y avait quelque chose de pourri au sein de la justice américaine.
Contrairement à son mari, Maggie avait toujours eu le droit de circuler librement. Le programme Witsec l’encourageait à être autonome et à gagner sa vie elle-même ; reprendre une activité professionnelle régulière était la preuve d’une vraie réinsertion. Le Bureau de Washington l’avait autorisée à chercher un bail commercial dans Paris.
Elle avait donc investi ses faibles moyens dans un petit local rue Mont-Louis, dans un recoin du onzième arrondissement, qui avait abrité des gargotes douteuses et vouées à disparaître. Le lieu était abandonné depuis qu’un industriel de la pizza s’était installé dans le quartier, portant un coup fatal à la petite restauration locale. Malgré cette concurrence qui en avait découragé plus d’un, Maggie avait voulu tenter sa chance.
Afin de lui accorder tout le temps et la précision qu’il demandait, Maggie n’entendait proposer qu’un seul plat, ses fameuses aubergines à la parmesane, rien d’autre, ni entrées, ni desserts, ni boissons. Ce parti pris radical l’obligeait à supprimer le service en salle pour se consacrer uniquement à la vente à emporter et aux livraisons à domicile. À l’ANPE, elle recruta Rafi, ouvrier au chômage depuis trois ans, père de famille prêt à tout pour un job, à commencer par ce qu’il n’avait jamais fait. Ils supprimèrent la petite salle de restaurant afin d’agrandir la cuisine et d’aménager un coin studio pour éviter à Maggie le prix d’un second loyer. Dans son infinie naïveté, elle créa La Parmesane, sans aucune expérience du commerce, sans même se faire connaître dans le quartier. Quelques oiseaux de mauvais augure lui prédirent un dépôt de bilan imminent. Un vrai suicide.