La vérité était bien différente : François Largillière, plus encore que les autres, avait été subjugué. Il avait préféré s’interdire de rêver, parce que les contes de fées n’existent pas plus que les princesses, hormis dans les films à l’eau de rose et les jeux vidéo bas de gamme comme il refusait lui-même d’en concevoir. Si par extraordinaire on croisait une princesse dans la vie de tous les jours, il fallait l’exclure d’emblée, la rejeter sur-le-champ, la repousser le plus loin possible pour éviter toute désillusion. Cette seule certitude lui avait permis de rester lui-même et de garder intact son sens de l’humour.
Ce fut elle qui chercha à le revoir. François tomba des nues en entendant la voix de cette fille qui s’appelait Belle — un comble, ce pléonasme de prénom. La surprise se transforma en méfiance, elle appelait forcément pour lui soutirer quelque chose, mais quoi ? Il accepta de prendre un verre pour en avoir le cœur net mais elle ne lui demanda rien, ce qui rendit François Largillière encore plus méfiant au deuxième rendez-vous. Au troisième, ils se retrouvèrent autour de la pièce d’eau du jardin du Luxembourg et s’y attardèrent jusqu’à la fermeture, puis ils partagèrent des huîtres et du vin blanc, avant de rentrer dans le petit studio de Belle, rempli du lit central, qui laissait peu de place à toute autre suite. Leur très légère griserie, leurs rires complices, leurs gestes ébauchés, et soudain, leur nudité.
Tout à coup, Largillière prit un air distant et déclara comme un verdict
Dépassée par cet enchaînement, Belle se demanda comment il en arrivait à cette conclusion puisqu’ils ne s’étaient pas encore touchés, qu’une première fois était une première fois, qu’ils n’étaient pas là pour la performance mais pour que leurs corps fassent connaissance. Plus étonnant encore, Largillière lui épargnait l’inévitable litanie des garçons à la virilité en berne ; Belle laissa échapper un
Parce que, en la voyant nue, il venait enfin de réaliser qu’une fille comme elle voulait d’un type comme lui, lui qui n’avait rien fait dans sa vie pour mériter une créature comme on en croisait dans les rêves, et bien plus émouvante encore, et si présente à lui, et comme attirée par son corps qui ne ressemblait à rien. Il suffisait à François de tendre la main pour se rendre compte qu’elle était vraiment là, dans le même espace/temps que le sien. Il finit par le faire, mais au lieu de lui caresser les épaules, les seins, ou de faire glisser ses mains sur ses hanches, il lui palpa l’avant-bras pour vérifier qu’elle était bien réelle.
Deux semaines plus tard, il avait accepté ce cadeau du ciel et s’était transformé en amant fougueux, perpétuellement émerveillé par ce corps qu’il ne laissait plus en paix à tant le cajoler.