Читаем Malavita encore полностью

Depuis que Warren avait cessé de se voir en futur grand architecte de la Cosa Nostra, il avait perdu toute sa morgue, tout son aplomb, et il existait désormais aux yeux des autres comme le quidam de la rue. Ses professeurs le disaient trop timide et ses rares copains le voyaient disparaître dès la sortie des cours. Une seule fois il avait accepté une invitation à une fête dans l’espoir de croiser Lena Delarue. Warren n’avait trouvé sa place nulle part, gauche en toutes circonstances, humour pas drôle, danse empruntée, incapable de s’insérer dans une conversation. Lena s’était amusée comme une petite folle, si à l’aise dans son âge et son époque.

À trop rester en souffrance, Warren profita du passage de sa sœur dans la maison parentale pour se plaindre des filles.

— Bon, arrête de chialer, comment elle s’appelle ?

— Qui ?

— Celle que tu n’arrives pas à intéresser.

— … Lena.

— C’est quoi, le problème ?

— J’ai l’impression d’être invisible.

— Depuis combien de temps ?

— Ça fera six mois dans dix jours.

Belle essaya de l’aider sans toutefois éviter les poncifs d’usage, les conseils les plus attendus, et ne réussit pas à se convaincre elle-même.

— Faudrait qu’elle se rende compte que j’existe.

— Tu ne seras jamais un premier prix de mathématiques, tu cours le cent mètres moins vite que moi, je te trouve très beau mais surtout parce que tu es mon frère. Bien sûr, tu possèdes un mouchoir taché de sang ayant appartenu à Lucky Luciano, mais ça ne va pas te servir à grand-chose avec ta Lena.

— J’ai bien une idée, mais…

— Je n’aime pas quand tu me regardes avec ces yeux-là. C’est quoi ton idée ?

*

La nuit tombait déjà sur la colline de Mazenc et Fred quitta son transat, bientôt suivi par Malavita. Il retourna vers sa machine à écrire en grognant contre Maggie qui n’avait pas appelé de la journée. Selon lui, c’était à elle de donner signe de vie. Ceux qui partent se manifestent auprès de ceux qui restent, jamais l’inverse. Depuis que madame passait la semaine à Paris pour s’occuper de sa boutique, elle ne rentrait pas à la maison avant le vendredi soir, et les journées se faisaient plus longues à partir du mercredi. Or, c’était précisément ce jour-là qu’il aimait l’avoir au téléphone pour s’entendre dire des choses aimables, et dans sa langue maternelle, car rares étaient les occasions de parler anglais dans le petit village de Mazenc, Drôme, a fortiori avec l’accent de Newark, New Jersey. Il allait pester jusqu’à ce que le téléphone sonne, il allait lui en vouloir, la traiter de tous les noms, sa rage allait même déborder sur son écriture, il allait tuer un personnage qui n’avait rien demandé et qui aurait pu survivre jusqu’à l’épilogue. De fait, en plein milieu du chapitre, il créa de toutes pièces un personnage de femme quinquagénaire prénommée Marge, qu’il faisait périr dans d’atroces souffrances et dans des circonstances peu claires, mais qui obligeraient le lecteur à remonter quelques pages en amont, persuadé d’avoir raté quelque chose. Quand, à dix-huit heures, la sonnerie du téléphone retentit enfin, Fred ne put s’empêcher de se trahir dès les premiers mots :

— Tu me manques, mon amour. Et moi, je te manque ?

— Fred, s’il te plaît…

Il comprit la phrase muette qui suivait : Fred, nous ne sommes pas seuls, ne sois pas si familier. Depuis dix ans que leur téléphone était sur écoute, Fred avait appris à ne plus se censurer, mais Maggie ne parvenait pas à oublier un Peter Bowles qui, un casque sur les oreilles, était prêt à enregistrer la conversation à la moindre formule suspecte.

— Ces gars-là n’écoutent que ce qu’ils veulent entendre, Maggie, ils se foutent de nos petits mots doux. Ils cherchent le secret d’État, le langage codé, la preuve formelle d’un complot, mais nos petits secrets à nous, ils ne veulent même pas les connaître.

— Fred, arrête ou je raccroche.

— … Hein que tu t’en fous, Ducon ? Tu t’en fous de savoir que ma femme me manque, tu ne peux pas comprendre parce que tu n’as pas de femme. Pour toi, c’est de la littérature, une femme qui manque à la maison. Manquer à quelqu’un, tu ne sais pas ce que c’est, sac à merde, tu n’as jamais manqué à personne et personne ne te manque jamais ! C’est pour ça que tu es apprécié par ta hiérarchie, aucun moyen de pression sur toi, et si tu meurs en mission pas besoin de prévenir ta veuve ni de faire une collecte pour tes gosses, pas de pension, tu ne coûteras pas cher au contribuable ! Tu ne connais pas l’odeur chaude que laisse ta femme quand elle quitte le lit, c’est une odeur qui ne change jamais mais qui disparaît vite si elle dort ailleurs, et ça te manque, si tu savais… Mais tu ne sauras jamais !

— C’est bon, tu as gagné, imbécile.

Maggie raccrocha pour les laisser entre eux. Elle n’avait ni le temps ni la patience d’écouter son mari régler ses comptes avec l’Oncle Sam, tant pis pour lui s’il ratait les deux ou trois informations qu’elle avait à lui communiquer, elle ne rappellerait pas avant le lendemain.

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