Francis Bretet avait dû se rendre à l’évidence, cette Parmesane avait réussi à lui confisquer des clients. Une structure insignifiante, une cuisine familiale, une distribution artisanale, le degré zéro du professionnalisme. Le temps d’identifier l’ennemi, et son chiffre d’affaires était passé de — 9 % à — 14 %.
À — 17 %, il avait été convoqué au siège européen, à Gennevilliers, où la direction générale lui avait demandé des détails sur ce manque à gagner.
— Cette
— C’est une maison indépendante.
— Combien de succursales ?
— Aucune, juste la maison mère.
— Quel est le produit d’appel ?
— Les aubergines au parmesan. Du reste, c’est leur seul produit.
— Comment ça, leur seul produit ?
— Ils n’ont rien d’autre à la carte. Ni boissons, ni entrées, ni desserts.
— …?
— Ni viandes non plus.
— Des aubergines à quoi ?
— Au parmesan. C’est un peu le principe des lasagnes mais vous remplacez les feuilles de pâte par des lamelles d’aubergines.
— Combien de parts par service ?
— Trois cents à 6 € la part, et deux services par jour.
— Quelle est son augmentation proportionnelle ?
— Aucune, ils ont stabilisé à trois cents parts depuis maintenant un an.
— Ils ne cherchent pas à augmenter le chiffre d’affaires ?
— Non.
— …? Combien d’employés ?
— Deux à plein temps, deux à temps partiel.
— Impossible. Ils ne peuvent pas faire un sou de bénéfice.
— C’est exact : ils ne font pas un sou de bénéfice.
— Mais qui sont ces gens…?
— Je suis en train de me renseigner.
— Et ces aubergines, qui les a goûtées ?
À ce jour, personne. Francis Bretet eut pour mission d’y aller voir par lui-même. Il eut beau prétendre
Maggie n’était pas prise au dépourvu, c’était bien elle qui, en s’installant rue Mont-Louis, s’était imposé un challenge. On l’avait traitée de folle quand elle avait osé ouvrir en face d’un géant de la restauration, un géant qu’elle avait vu naître, trente ans plus tôt, les soirs où, avec des copains, ils décidaient de pousser jusqu’à New York pour aller danser. Elle avait vu s’implanter un des tout premiers restaurants, sur Mercer Street, et se souvenait même de la première publicité à la télé, une immense pizza qui fait la joie de toute une famille, et de ce logo qui allait désormais faire partie du paysage urbain. Ceux qui savaient ce qu’était une pizza, à commencer par les Italiens et descendants d’Italiens, n’y mettaient jamais les pieds, mais ça n’avait pas empêché le colosse de s’asseoir sur son trône et de dominer le monde de la restauration rapide. Aujourd’hui, il détenait douze mille restaurants sur la planète et en ouvrait un nouveau chaque jour. Comment la brave Maggie, avec ses aubergines, pouvait-elle faire de l’ombre à
Francis Bretet sortit de leur rendez-vous convaincu du fort potentiel commercial de l’aubergine. Moins de deux mois plus tard, apparaissait sur leur carte, entre les pizzas, les ailes de poulet frites, les salades de pâtes, et les glaces aux noix de pécan, un plat de