Malavita quitta sa cachette pour s’endormir dans le bureau de son maître, bercée par le cliquetis de la machine.
3
Retrouver l’adresse de l’appartement que Pierre Foulon, le pizzaïolo, possédait à Montélimar, ne posa aucun problème. À l’époque où Gianni Manzoni était chargé de remettre la main sur un mauvais payeur, dégoter son adresse était même la partie la plus facile du job. Quand il menaçait le type du rituel :
Fred nota le nom du locataire indélicat de son copain pizzaïolo : Jacques Narboni, 41 rue Saint-Gaucher, Montélimar. Puis, sur le coup de vingt et une heures, tout en préparant le plateau apéritif des grands soirs, il décrocha son téléphone.
— Bowles ? J’ai un service à vous demander, mais ça peut aussi arranger vos affaires.
— Vous commencez mal. De quoi s’agit-il ?
— Un problème de parabole, je ne capte plus Eurosport. Et si ça n’est pas réparé d’ici minuit et demi, vous comprenez le drame qui en découle.
Peter ne le comprenait que trop. Ce drame, il le vivait déjà à sa manière depuis deux jours.
— Avez-vous jamais raté une seule finale du Superbowl depuis votre naissance ? demanda Fred.
Le G-man n’avait pas besoin de répondre ; il était fan de football américain, et aussi loin que remontaient ses souvenirs d’enfance, il avait vibré, comme le reste du pays, aux exploits des dieux du stade. Et ce soir à minuit et demi — 18h30, heure locale — le Dolphin Stadium de Miami accueillait les Chicago Bears et les New York Giants pour l’affrontement au sommet.
— L’année dernière, il y a eu 141 millions de spectateurs, un record qui sera battu ce soir. 141 millions, Peter, et deux exclus : vous et moi ? Est-ce imaginable ?
Peter n’avait pas la télévision, il regardait les chaînes américaines via Internet, sur son ordinateur. Traditionnellement, trois réseaux de diffusion, NBC, CBS et FOX, assuraient à tour de rôle la retransmission du match, mais cette année, pour une question de droits publicitaires, NBC avait décidé de ne pas y donner libre accès sur la toile. Peter s’était résigné à appeler son ami Marcus, à Washington, pour s’entendre commenter le match par téléphone.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que je saurai réparer votre antenne ?
— Vous autres, les fédéraux, vous êtes tous des bricolos, ça fait partie de votre formation. Quint, par exemple, est capable de transformer un micro-ondes en bombe à retardement. Je le dis parce que je l’ai vu faire. Vous n’allez pas me priver de cette finale ? Vous n’allez pas NOUS priver de cette finale.
— …
— Ne me dites pas que c’est interdit par le règlement ! Aucun règlement n’interdit à aucun Américain d’assister à la finale du Superbowl. Imaginez toute cette racaille qui croupit au fin fond des pires geôles américaines, à San Quentin, Attica ou Ryker’s, tous ces tueurs psychopathes qu’on autorise à voir le match suprême ! Et vous, vous n’y auriez pas droit ?
— …
— Faites comme vous le sentez. Le
Fred n’eut pas à attendre longtemps : une heure plus tard, Peter avait branché les bonnes fiches dans les bonnes prises de l’installation vidéo des Wayne.
— Merci, Peter. Cet imbécile de Warren a voulu enregistrer je ne sais quelle émission et m’a laissé tout ça en plan. Tenez, prenez le fauteuil, moi je vais m’installer dans le canapé si ce putain de clébard veut bien me faire une place.
Fred disposa sur la table basse un saladier plein de chips mexicaines, des coupelles de sauce, et un mélange de crackers aux goûts divers. Mal à l’aise, Bowles s’assit dans le fauteuil comme dans une salle d’attente de dentiste.