Elle tendit la main vers son homme pour l’attirer dans le lit et se blottir contre lui. Elle avait besoin de sentir ses bras l’entourer et de poser son front contre son torse. Lui, rassuré par la tendresse de sa femme, ne perçut rien de sa détresse et laissa ses mains glisser vers ses hanches et s’aventurer sur ses fesses. Maggie accepta ses caresses un moment puis sortit en douceur de son étreinte. Mais Fred n’abandonnait pas si facilement et lui fit comprendre par des gestes sans équivoque qu’il cherchait à la voir nue ; la lutte dura plusieurs minutes et se termina par un éclat de rire partagé. Il la connaissait trop bien pour ne pas savoir que, en pareil cas, il fallait lui donner le temps de revenir vers lui. À dire vrai, il était aussi préoccupé et fatigué qu’elle et n’eut pas à se faire violence pour remettre à plus tard leurs ébats. Il prit une longue douche qui lui détendit les muscles et les nerfs et s’allongea près de sa femme pour oublier cette journée devant les images silencieuses et vides de sens d’une émission de télé.
— J’étais avec Quint, en bas.
— Je vous ai vus en fermant les volets.
— Pourquoi n’es-tu pas venue nous dire bonsoir ?
— J’ai senti qu’il fallait vous laisser tous les deux. Je me trompe ?
Ils se souhaitèrent une bonne nuit mais ne surent se laisser gagner par des pensées agréables qui auraient pu se transformer en rêves. Ils se tournèrent et se retournèrent dans le lit, pour parfois se retrouver face à face, les yeux grands ouverts.
— Tu vois, on aurait dû baiser, sourit Fred.
Maggie fut tentée de profiter de leur insomnie pour raconter ses malheurs. À qui d’autre se confier sinon à son compagnon pour le pire et le meilleur ? Leur meilleur avait été bien meilleur que ceux de tous les autres, et leur pire bien pire encore. Leur couple avait traversé des épreuves démesurées, des drames impossibles à surmonter, et pourtant, ils étaient côte à côte, dans ce lit, à partager une nuit de veille.
Il commencerait par tailler en pièces Francis Bretet jusqu’à ce qu’il dise où il prenait ses ordres, et le pauvre n’opposerait pas beaucoup de résistance après avoir dégluti ses premières dents. Fred se rendrait alors au siège social et trouverait son chemin tout seul jusqu’au bureau du directeur des ressources humaines. Lequel se demanderait ce que lui voulait cet énergumène, et pourquoi la sécurité — quatre types groggy sur le parking — l’avait laissé entrer. Après avoir été aspergé d’essence, il se sentirait tout à coup très vulnérable et le conduirait lui-même jusqu’au bureau du P-DG qui, la tête fracassée contre un radiateur, avouerait qu’il prenait tous ses ordres des Américains. Peu de temps après, à Denver, à Seattle ou à Pittsburgh, au dernier étage du gratte-ciel de la Finefood Inc., un big boss à la tête de tout un empire économique verrait un fou débouler, le pendre par les pieds à la fenêtre de son bureau, et lui demander :
Le pauvre homme, entre deux hurlements, serait bien forcé de dire non, et Fred, prêt à le lâcher du soixantième étage, ajouterait :
— J’aurais dû prendre une tisane aussi, au lieu de cette grappa.
— Allez viens, Fred, je vais nous en préparer une.
Un quart d’heure plus tard, ils étaient affalés, en pyjama et peignoir, dans les canapés du grand salon, face à la cheminée vide, une tasse à la main.
— La verveine, c’est censé faire dormir ?
— C’est comme tout, faut y croire.
— Pas si mauvais…
Puis il ajouta, après plusieurs gorgées :
— On ne serait pas en train de vieillir ?
Maggie, attendrie par cette complicité improvisée, fut sur le point de lui annoncer que son escapade parisienne était terminée. La Parmesane resterait un bon souvenir, une victoire d’autant plus précieuse qu’elle était tardive. Elle allait taire les intimidations subies, les pressions auxquelles elle avait cédé, et l’amertume qu’elle garderait longtemps au fond du cœur.
Mais, à l’instant même où elle allait rompre le silence, Fred lui souffla la parole.