— J’ai essayé de comprendre le mystère de cette publication, poursuivit Tom. Si tant de gens écrivent et cherchent à se faire publier, pourquoi vous, qui pensez qu’une métaphore est un animal à tentacules, y êtes-vous parvenu ? J’ai relu
Fred se tenait debout comme un boxeur sonné prêt à tomber au premier souffle de vent. Tom n’en avait pas fini et préparait le dernier uppercut.
— Heureusement, cette imposture ne va pas durer. Déjà votre second opus tourne en rond, vous n’avez plus rien à raconter et vos anecdotes tirent à la ligne. La longue liste de vos infamies n’est pas inépuisable et, quand vous aurez expliqué à vos lecteurs les cent et une façons de faire disparaître un cadavre, vous serez à sec. Je suis tranquille sur ce point : il n’y aura pas de troisième titre signé Laszlo Pryor.
Même pétrifié par la rage, Fred n’était pas assez fou pour se risquer à une agression physique sur la personne de Thomas Quintiliani dont le pouvoir de représailles était infini. Ses chefs du Bureau l’auraient couvert et lui auraient donné toute latitude pour prendre la décision qui s’imposait. Sans compter que Tom ne craignait personne au combat de rues et maîtrisait deux ou trois arts martiaux, au point que, dans tous les dojos du monde, on lui devait le titre de
— J’exagère sans doute un peu. Après tout, je ne suis pas critique littéraire.
— Pour un petit-fils de pêcheur calabrais, vous vous débrouillez bien. Dieu sait si vous m’en avez fait voir depuis que nous nous connaissons, mais vous ne m’avez jamais fait autant de mal qu’aujourd’hui.
Le capitaine Quint posa sa tasse contre le banc de pierre grise où avaient dû s’asseoir des centaines de religieuses et regarda, au loin, les étoiles sur la plaine. Il s’en voulait d’avoir pris le risque de compromettre la suite, tant attendue, de leur entretien. Mais Fred, au tapis, avait lui aussi envie d’en finir.
— Vous pouvez sortir votre calepin, Tom.
Et Tom mit la main dans une poche de sa veste.
— C’est Louie Cipriani qui nous avait renseignés sur le détournement de fonds du projet de financement de la cité Bellevue. « L’affaire Pareto » comme on l’a appelée, vous devez vous en souvenir.
Tom nota à toute vitesse sans oublier une syllabe, même s’il ne comprenait pas, pour l’instant, tous les détails que Fred avait choisi de lui donner.
— Louie avait aussi servi d’intermédiaire quand nous nous étions rapprochés de la banque Beckaert, qui avait blanchi 75 % des bénéfices de l’affaire Pareto.
Tom ouvrait grandes ses oreilles : il n’était pas question de demander de répéter. Quand Fred balançait, il fallait tout saisir du premier coup, et par écrit, car il n’aurait jamais accepté de laisser sa voix sur une bande magnétique.
— Le banquier s’appelait Fitzpatrick, je ne me souviens plus de son prénom mais vous allez facilement remonter jusqu’à lui. Il était tellement heureux de faire affaire avec nous que c’était lui, tout banquier qu’il était, qui m’avait demandé de réinvestir ses gains.
L’exceptionnelle longévité de Gianni Manzoni au sein du programme Witsec tenait dans ce pacte. Ce qu’il avait dit au cours de son procès avait réussi à le couvrir pendant plus de dix ans. Sachant qu’un jour ou l’autre l’Oncle Sam allait le lâcher dans la nature, Fred avait trouvé la parade et balançait au compte-gouttes. C’était son assurance-vie.
— Louie et lui passaient leurs vacances ensemble sur le trois-mâts aux couleurs de sa banque. Louie a aussi rabattu le hold-up de la National Cityrail pour le gang Polsinelli. Il nous l’avait proposé en premier, nous avons hésité, et nous avons eu tort. En revanche, le braquage du transporteur Farnell, c’était bien nous.
Tom notait toujours, récompensé de son année d’attente.