Читаем Malavita encore полностью

— Cette putain de langue française a fini par me grignoter comme une gangrène. Il m’arrive parfois d’utiliser des mots dont je ne connais même pas le sens, simplement parce que je les ai entendus à la télé ou dans la rue. Mes enfants me parlent français et je ne vois plus assez Maggie pour qu’on s’engueule dans notre foutue langue de Newark. Je n’ai plus personne à insulter, pas même Bowles, qui prend tout de travers, et quand on a perdu l’insulte, dans une langue, qu’est-ce qui reste ? Il y a pire encore : l’autre fois, en me brûlant, j’ai dit aïe ! au lieu de ouch ! C’est un point de non-retour, non ?

À table, ils entamèrent directement le plat principal et ses contorni, poivrons à l’ail, épinards à la poêle, et brocolis. Tom, dont l’ordinaire était le plateau d’avion et le room service, retrouva avec bonheur le goût du fait maison. Où étaient les petits plats de Karen et son don pour le mélange des saveurs ? Quand ils avaient vécu à La Nouvelle-Orléans, elle avait percé les secrets de la cuisine cajun. À Tallahassee, elle maîtrisait sur le bout de la fourchette la cuisine du Sud profond. Elle avait même su voler les recettes de poisson de Mme Quintiliani mère. Mais, depuis que Tom vivait en Europe et que les enfants avaient quitté la maison, elle se contentait de découper une tomate sur un coin d’assiette et de la picorer, seule sous la véranda en bois blanc.

Fred et Tom bavardèrent un bon moment en évitant les conversations piégées. Pourtant elles l’étaient toutes. La pièce de viande à peine terminée, Fred s’indigna de la politique extérieure des États-Unis, surtout quand il voyait « nos gars » partir faire la guerre on ne sait où. Qu’il fût d’accord ou non, Tom lui fit remarquer qu’il était déchu de ses droits civiques et que parler de politique américaine lui était moralement interdit.

— Ça ne me donne même plus le droit d’avoir un avis ?

— Vous, un avis ? Je ne sais plus qui a dit : « Les avis, c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un. » Gardez votre avis pour vous, Manzoni, surtout quand il s’agit de patriotisme, vous qui vous êtes servi de la bannière étoilée pour lustrer vos chaussures Gucci.

Tom regrettait à nouveau de ne pas être en terrain neutre. Remettre à sa place un homme qui vous invite à sa table n’était pas dans ses habitudes, mais ça ne changeait rien au fond, certaines phrases n’avaient pas à être prononcées en sa présence. En tant qu’ex-mafieux, Fred était sans doute le moins bien placé pour parler de politique internationale ; jusqu’en 2001, les deux tiers des effectifs du FBI étaient affectés à la lutte contre le crime organisé, et un tiers contre le terrorisme. Depuis, on avait inversé la proportion.

Surpris par tant de fermeté, Fred resta un instant bouche bée. Par son silence, il admettait n’avoir pas voix au chapitre. De fait, il n’était patriote que quand ça l’arrangeait et, s’il avait jamais pesté contre telle ou telle guerre, c’était en jouant aux cartes avec sa bande, dans une arrière-salle de bar, près d’une télé allumée : « Font chier avec leur putain d’occupation armée, fous-nous les cours de la Bourse sur Bloomberg TV ! » Si, dans sa vie, il avait eu lui-même à prendre les armes, c’était pour défendre son territoire de racket et de corruption, pas son pays. Seuls les conflits au sein de LCN lui tenaient à cœur. Fred ne les trouvait pas moins meurtriers, et les larmes de leurs femmes pas moins amères que celles des veuves de guerre.

— Après tout, vous avez raison, Tom. Je ne suis pas le mieux placé.

Fred n’avait jamais cru à la politique parce qu’il n’avait jamais cru à l’avenir. Un wiseguy pensait la vie à court terme, un jour après l’autre, parce que chaque jour en vie était une petite victoire qu’il fêtait, le soir venu, chez Beccegato ou chez Bee-Bee. Un wiseguy qui mourait dans son lit était soit un génie, soit un raté. En témoignant contre LCN, Fred avait cessé d’être un wiseguy, non pas parce qu’il avait trahi, mais parce qu’il s’était donné un avenir, comme un contribuable, un cave, un homme de la rue.

Plutôt que de s’en expliquer, il préféra porter un coup bas dont il avait testé maintes fois l’efficacité.

— J’ai cessé de croire à la politique quand la politique a commencé à croire en moi. Ah Tom, vous ne connaîtrez jamais ce grand bonheur de voir un gouverneur vous racheter à prix d’or cette photo où, naguère, il vous a serré la main dans un grand restaurant. Même J. Edgar Hoover, votre Saint Patron, a partagé des linguini avec des capi de légende.

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