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Puis, passant en revue les manches de rechange. Achab en choisit un de noyer blanc auquel tenait encore l’écorce et en adapta l’extrémité à la douille du harpon. Une glène de ligne fut déroulée et quelques brasses fixées au guindeau afin d’être rigoureusement tendues. Posant le pied dessus jusqu’à ce qu’elle vibrât comme une corde de harpe, se penchant ardemment et n’y voyant point de torons rompus, Achab s’écria: «Bien! Et maintenant l’aiguilletage!»
La douille du harpon fut garnie en fil de caret, il y fut frappé une aiguillette en ligne de pêche au moyen d’un tour mort, puis ce nœud fut fortement souqué dans la douille; cette aiguillette fut alors allongée jusqu’à mi-longueur du manche puis solidement fixée avec des fils de caret de ligne. Cela fait, manche, fer et ligne – telles les trois Parques – devinrent inséparables et Achab s’en fut sombrement avec l’arme. Sa jambe d’ivoire et le manche de noyer tirèrent de chaque planche un son caverneux. Mais avant qu’il n’eût atteint sa cabine, un bruit se fit entendre, léger, surnaturel, à demi-railleur et cependant très pitoyable. Oh! Pip, ton rire misérable, ton regard vide et inquiet pourtant, toutes tes étranges pantomimes se confondaient d’une façon chargée de sens avec la noire tragédie de ce navire de mélancolie et s’en moquaient!
CHAPITRE CXIV
Pénétrant toujours plus avant au cœur des parages de croisière japonais, le
En de tels moments, sous un soleil sans défaillance, flottant tout le jour sur des vagues lentes et légères, assis dans une embarcation aussi aérienne qu’un canoë de bouleau et si intimement liée à la langueur des lames qu’elles ronronnaient contre les plats-bords comme des chats sur la pierre de l’âtre, les hommes goûtaient une quiétude rêveuse lorsqu’en contemplant la peau éclatante et lisse de l’Océan, ils oubliaient le cœur de tigre qui battait dessous et se refusaient à se souvenir que cette patte de velours cachait des griffes impitoyables.
En de tels moments, le vagabond dans sa baleinière éprouve envers la mer un sentiment tendre, filial, confiant, assez semblable à celui qu’il porte à la terre, il la regarde comme un parterre de fleurs et le navire qui, au loin, ne laisse voir que la pointe de ses mâts, semble se frayer sa route non à travers le roulement de vagues mais à travers l’herbe haute d’une prairie ondulante, tels les chevaux des émigrants de l’ouest dont seules pointaient les oreilles tandis que leurs corps avançaient péniblement dans une étonnante verdure.
Vierges vallons longuement étirés, collines bleues et douces, sur lesquels glisse un silence murmurant… et l’on pourrait presque jurer que des enfants, las de leurs jeux, sont étendus endormis dans ces solitudes quand, en un mai joyeux, sont cueillies les fleurs des bois. Dans la magie de votre humeur, rêve et réalité se rencontrent à mi-chemin, s’interpénètrent et ne forment plus qu’un.
Ces scènes apaisantes, pour passagères qu’elles aient été, n’étaient pas sans avoir, passagèrement, un effet apaisant sur Achab, mais si ces secrètes clefs d’or semblaient livrer l’or de son trésor secret, son haleine toutefois en ternissait l’éclat.