Читаем Mon traître полностью

Quand le maître d’apprentissage est revenu, je lui ai demandé comment il faisait son vernis. Je l’ai regardé comme ça, bien droit, une lime en main. Il a eu l’air stupéfait. Je me souviens. J’étais fier de sa surprise. Alors il a appelé « Pays », un vieux vernisseur qui avait demandé que sur sa tombe soit inscrit : « Né et mort à Mirecourt ». Il lui a dit de m’expliquer le vernis, de ne rien me cacher. Le vieil ouvrier a eu le même regard surpris que mon maître. Et puis il a hoché la tête en souriant. Le soir même, en compagnie du Premier Ouvrier, Pays m’a demandé de noter sur un papier, d’apprendre par cœur puis de jeter la formule. Je me souviens. J’avais gardé ma venotte, le tablier bleu nuit que je porte encore aujourd’hui. J’étais assis sur une caisse posée sur le trottoir, devant notre atelier. Le Premier Ouvrier et le vernisseur étaient debout, une cigarette en main. C’était le printemps. Je me souviens d’une lumière de soir. Pays a parlé. Il a dit que la recette devait être établie dans cet ordre-là. Deux cents grammes de terre vosgienne d’après pluie, creusée en un petit volcan. Ni caillou, ni herbe, juste la glaise et l’eau du ciel. Deux jaunes d’œufs, cassés au-dessus de la motte. Cinq grammes de brique recueillis avec l’ongle contre le mur de l’atelier Bourlier, dans le haut de la ville. Un godet d’urine tiède, pissée à minuit, debout, un jour où l’on a mangé du poisson. L’urine, c’était le secret, la différence entre la coloration des ondes de l’érable chez nous et chez Bourlier, par exemple. Ensuite, il fallait faire cuire, quatre heures et sans cesser de tourner.

Un vendredi midi, il y a eu du poisson à l’atelier. Il pleuvait. Pays s’est penché au-dessus de moi en disant que c’était le bon jour. Le soir, j’ai ramassé une belle motte de terre. J’ai tourné longtemps autour du luthier Bourlier, avant de gratter son mur avec l’ongle. Et puis j’ai pissé, debout, dans ma tasse, aux douze coups de minuit. Après, j’ai mélangé la terre et les œufs, la brique et la pisse dans ma gamelle de repas. Je suis allé à mon réchaud et j’ai tourné, avec une lime, tourné sans arrêt, les yeux brûlants de sommeil.

Le lendemain, le maître d’atelier a inspecté nos fonds de bois blanc. Celui de « Pied-de-roi » était légèrement bombé, presque parfait. Au doigt, on ne pouvait deviner la ligne entre les deux pièces collées. « Le peu » avait eu du mal avec ses coins et l’arrondi qui recevait les éclisses. « Crémone » était content de lui et mécontent du bois vosgien. Quand le maître est arrivé à mon ouvrage, il n’a vu qu’une seule pièce découpée. L’autre était un rectangle de bois, juste un patron tracé au crayon.

— C’est tout ? a demandé mon maître.

J’ai hoché la tête. J’ai montré la gamelle. Elle contenait un bloc, dur comme un caillou brûlé.

— Tu as passé plus de temps là-dessus que sur ton fond ?

J’ai réfléchi. J’ai répondu oui. Mon maître a soupiré. Il m’a dit que ce que j’avais fait n’était rien. Surtout pas un vernis. Que c’était une confiture d’orgueil. Il m’a dit que cette recette était une farce, une leçon pour l’apprenti. Il m’a dit que je ne doutais de rien. « Tu seras Doute-de-rien ! », a ri mon maître. Et puis il a cogné le fond de ma gamelle contre le mur de l’atelier. La pierre est tombée. J’ai mis une heure à récurer le fer cabossé. Et je suis retourné à mon fond de bois blanc.

— Fais simplement ce que tu dois, a encore dit mon maître.

C’est plus tard, trois ans après, que j’ai timidement approché le vernis. J’ai appris. Juste ce que je devais. Quand cela n’allait pas, le maître nous le disait. Rien de plus.

— Pas comme ça, disait-il.

— Comment alors ?

— Cherchez encore.

Avant l’Irlande, le secret avait pour moi une odeur de vernis. C’était le seul mystère au monde. Au XIXe siècle, quand un autre luthier lui rendait visite, le grand Jean-Baptiste Vuillaume brûlait de l’anis pour que l’odeur d’un mélange ne le trahisse pas. Bien plus tard, à mon tour, je me suis fait vernisseur. J’ai mélangé en cachette l’huile de lin et une essence de térébenthine de Venise cuite 200 heures durant. Bien plus tard, j’ai employé le goudron de Norvège. Bien plus tard, j’ai choisi de passer treize couches de vernis sur le bois des violons.


*


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