Читаем Mon traître полностью

En octobre 1979, je suis resté neuf jours à Belfast. J’ai vainement attendu que Tyrone Meehan passe en procès. Chaque matin, j’accompagnais Sheila à la porte de la prison de Crumlin pour avoir des nouvelles. Je restais sur le trottoir, en face, mains dans les poches comme les hommes qui étaient là. Dans la rue, la tension était intacte. Chaque jour, un ou deux nationalistes étaient emmenés. La nuit sursautait à l’éclat bref d’une arme. Parfois, nous croisions des combattants républicains. Ils n’étaient plus à la parade. Ils n’avaient pas d’uniformes, juste des capuches de parka tombées sur le visage. Ils couraient de ruelles en jardinets, un fusil d’assaut ou un pistolet en main. Ils sautaient par dessus les murets des maisons basses, entraient brusquement dans les salons tranquilles pour ressortir par les cuisines de derrière, restées ouvertes exprès. Je sentais la guerre. Je la sentais dans l’odeur de charbon et de tourbe, d’huile grasse et de pluie froide. Cette odeur de Belfast, cette saveur d’inquiétude. C’était la première fois que je la sentais vraiment. La veille de mon départ, une unité de l’IRA a ouvert le feu sur une patrouille à pied, en plein jour, en pleine rue, à quelques mètres de moi. Je n’ai pas vu d’où venaient les coups de feu. Un soldat est tombé le long du mur. Il a lâché son fusil. Bruit métallique. Son casque a heurté le trottoir. Les Britanniques n’ont pas répliqué. Ils hurlaient, l’œil dans le viseur à la recherche des toits. Une mère a pris son enfant sous son bras. Une autre a poussé un long cri. Je me suis caché dans un angle de porte. L’Anglais était couché sur le ventre. Un sang épais coulait sur le sol. La foule hésitait. Un policier a tiré en l’air pour nous disperser. J’ai couru comme les autres. J’avais une rage en moi. Une colère de violence, de tristesse et de joie. Ils en avaient eu un. Nous en avions eu un. Je me suis retourné pour le voir encore. Des blindés arrivaient de partout, et aussi une Land Rover frappée de la Croix-Rouge.

— Ne courez plus ! Marchez normalement ! nous a crié un jeune homme, bras écartés.

Je me suis arrêté tout à fait. Les soldats barraient la rue. Je ne voyais plus que les brodequins du mort et le bas de son treillis. Parce que voilà, il était mort. Je l’ai lu le lendemain dans l'Irish News. Steeve Remington venait de Brampton, dans le Yorkshire. Il avait refusé de suivre son père, son grand-père et les autres à la mine. Il s’était engagé pour quitter la misère des corons. Il avait 23 ans.

« Y a-t-il une vie avant la mort ? », demandait une inscription noire sur un mur de Falls Road. Avant de prendre le train pour Dublin, j’ai touché ce mur comme le mur d’un temple. Je l’ai touché longtemps, paume ouverte, pour le froid de la pierre. Plus haut, dans la rue, un soldat britannique escaladait un poteau électrique pour arracher un drapeau républicain. J’ai eu presque envie qu’il me voie. Lui détruisant un symbole et moi m’en nourrissant. La rue palpitait. Tyrone était en prison. A Long Kesh, dans l’immense camp de prisonniers construit en pleine campagne, au sud de Belfast, trois cents républicains irlandais vivaient nus depuis trois ans. Nus, absolument. Enroulés dans leur couverture de lit, ils refusaient de porter l’uniforme des droit-commun. Je regardais leurs photos jusqu’au vertige. Deux d’entre eux, surtout, surpris dans leur cellule par une caméra de télévision, maigres, le visage couvert de barbe, les cheveux sur leurs épaules, donnant aux couvertures rêches l’élégance d’un drapé. J’avais cette image avec moi partout. Dans mon portefeuille, dans mon atelier. Quand je levais les yeux du bois blond, c’était pour ces peaux blanches. Un matin de 1979, pour briser la résistance, les surveillants ont refusé que les prisonniers vident leurs tinettes. Alors ils sont entrés en « dirty protest », la protestation dégueulasse. Ils ont pissé par terre. Ils ont étalé leurs excréments à la main sur les murs de leurs cellules. Ils se hurlaient prisonniers politiques. Nus et dans leur merde, les pieds couverts d’urine, sans visite, sans promenade, sans courrier, sans rien, seuls, pendant encore des mois et des mois qui dureront deux ans.

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