Читаем Mon traître полностью

Ce n’était pas une voix d’ici. Pas l’accent de ces rues. Tête basse, je m’étais jeté dans un barrage de l’armée britannique. Des dizaines d’hommes casqués embusqués au coin des maisons, sur les trottoirs, dans les jardinets, qui arrêtaient les voitures et les gens. Cinq Irlandais étaient face à un mur, front contre la brique, mains levées et jambes écartées. Un soldat s’est approché de moi. A distance, il m’a demandé de lever lentement les mains à mon tour. J’ai pensé à Jim, qui avait été torturé quatre jours par la police au centre d’interrogatoire de Castlereagh. Son nez avait été brisé, sa mâchoire aussi. Il est resté dans une pièce allumée jour et nuit. On l’a empêché de dormir. On ne l’a pas nourri. J’ai pensé à Tyrone, qui avait été battu par des supplétifs de l’armée. Battu à en perdre ses dents, les cheveux arrachés par poignées et les yeux fermés par les hématomes. J’ai pris peur.

— Français, j’ai dit.

— Reporter ?

— Non, touriste.

— Touriste ?

L’enveloppe marron est tombée sur la rue. A mes pieds. Bien lourde.

— Ne touche à rien. Mets-toi à genoux. Garde les mains levées.

J’ai tout bien fait. Mains levées, à genoux, tête baissée.

Le soldat a soulevé l’enveloppe du bout de son brodequin.

— C’est quoi, ça ?

— Je suis français, je parle mal anglais.

Deux autres soldats sont venus près de moi. Et aussi un policier en uniforme vert. C’est lui qui a pris l’enveloppe. Il l’a tenue à bout de gant et s’est engouffré dans un blindé Saracen qui bloquait l’avenue. J’étais toujours à genoux. J’écoutais les ordres métalliques dans les radios. Les voitures qui repartaient. Les voix sèches. Les insultes hurlées par une fenêtre en face. J’ai attendu.

— Laissez-le partir, a dit le policier.

Il m’a tendu l’enveloppe ouverte. Je me suis relevé.

— Pour le tourisme, il vaut mieux l’Espagne, a ri un jeune soldat.

J’ai souri aussi. Je tremblais. Je voulais être chez moi, dans mon atelier, un canif à la main dans les copeaux d’érable. Je tremblais. Je rêvais de plonger mon canif dans la nuque d’un soldat. Je tremblais. Jamais je n’avais ressenti une telle colère. Jamais de toute ma vie. Ils avaient frappé Cathy à coups de crosse, ils avaient emprisonné Tyrone Meehan le juste, ils avaient fusillé mon grand homme à col rond, et ils m’avaient souri. Je m’en voulais d’avoir rendu cette moue de politesse. J’aurais dû rester poings blancs et regard clos. Ou alors me dresser, comme un chien, lèvres retroussées, menaçant, relever le front, le menton, les haïr de silence. Je n’étais pas encore du courage d’ici. Je tremblais. J’ai repris ma route en marchant moins vite. Les hommes casqués occupaient chaque rue. J’aurais aimé avoir un sauf-conduit pour dire que ça y était, que c’était fait, que j’avais été arrêté, que c’était tout pour aujourd’hui. J’ai donné mon nom deux fois encore. A un policier qui me tenait en joue. A deux soldats qui ont fouillé l’enveloppe.

C’était une documentation sur Michael Coleman, le grand violoniste irlandais né dans un village du comté Sligo, le 31 janvier 1891. Je l’avais demandé à Tyrone. J’avais oublié. Avec, mon ami avait joint un vieux disque 45 tours et un dictionnaire franco-anglais des termes de lutherie. Grâce à ces pages, je saurais désormais que spruce veut dire épicéa, que l’aulne se dit aider, que birdseye maple est le nom anglais de l’érable moucheté, que plane est un rabot et reamer l’alésoir.


*


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