Читаем Mon traître полностью

Cathy me regardait. Jim buvait lentement. Le jeune homme finissait mon vin. Sheila distribuait ses cigarettes, trois par trois, en éventail entre ses doigts. Je frissonnais. J’avais déjà joué ici ou là, pour Jim ou dans un pub, mais pas comme ça. Pas avec ce silence en face. Pas avec Tyrone Meehan qui avait mis son menton dans sa paume de main. Pas après ces histoires, ces chansons, ces rires partagés. J’étais le luthier français. J’osais à peine. J’ai posé l’archet sur les cordes. J’ai fermé les yeux. Je voulais le mieux, le plus beau d’entre tout. J’avais la bouche sèche. J’ai joué O’Keefe’s Slide, un morceau traditionnel. J’ai laissé faire mes doigts. Tout n’était pas juste. Et peu m’importait. Et peu leur importait, je crois. Ils ont applaudi fort. Tyrone Meehan a levé le pouce pour dire que c’était bien. Plus tard, dans la cuisine, il m’a dit que la chambre de Jack était libre et que je ne devais pas hésiter. Si Jim et Cathy avaient un problème pour me loger, le lit de son enfant prisonnier m’était ouvert.

— Je t’aime bien, fils, a dit Tyrone en posant la main sur mon épaule.

— Moi aussi, j’ai répondu en souriant.

— Ah bon ? Et pourquoi ça ? il a demandé.

Et puis il a eu son rire. C’est la première fois que je l’entendais. Un rire en cascade, formidable, sans retenue. Un rire que j’essaierai d’imiter sans jamais y parvenir. Un rire qui me réveille encore la nuit maintenant qu’il est mort.


*


En rentrant à Paris, j’ai compris. En me réveillant le jour d’après. En marchant dans la rue, cet avril 1977. En regardant le ciel pour rien. En croisant ceux qui ne savaient pas. J’étais différent. J’étais quelqu’un en plus. J’avais un autre monde, une autre vie, d’autres espoirs. J’avais un goût de briques, un goût de guerre, un goût de tristesse et de colère aussi. J’ai quitté les musiques inutiles pour ne plus jouer que celles de mon nouveau pays. Je me suis mis à lire. Tout. Tout sur l’Irlande. Rien que sur l’Irlande. Irlande. Irlande. Irlande. Je cherchais ce mot à travers les lignes des journaux, dans l’encre des livres, je le lisais sur les lèvres, dans les yeux, partout. J’ai su qu’en gaélique, Armée républicaine irlandaise se disait « Óglaigh na-ireann ». J’ai fêté la Saint-Patrick. Je me suis coloré les cheveux en vert. J’ai lu le livre de Kells, les raids vikings, les batailles de Toirrdelbach Ua Briain, roi de Munster. J’ai appris les invasions normandes, la résurgence gaélique, la conquête des Tudor, la colonisation de l’Ulster, les rébellions écrasées une à une, la sauvagerie de Cromwell, la défaite de James II le catholique. J’ai découvert les lois pénales, la Grande Famine, le Home Rule. J’ai lu en anglais la guerre d’indépendance, la guerre civile, la guerre au Nord. J’ai lu Flann O’Brien, O’Flaherty, Beckett, Kavanagh, O’Casey, Behan, Wilde, Synge, Swift. J’ai essayé de lire Joyce. J’ai découpé un poème de William Butler Yeats. Je l’ai collé à côté de James Connolly, sur le mur de mon atelier.


« Now and in time to be

Wherever green is worn

Are changea, changea utterly

A terrible beauty is born. »


J’ai décidé que la Guinness serait mon eau de vie. J’ai eu du mal, d’abord. Cette amertume, ce goût de lourd, de terre et de brûlé. L’onctueux de sa crème, la pinte interminable. Avec Jim et Cathy, à la table du Thomas Ashe, je faisais comme si. Je buvais sans aimer. C’était un rituel. J’avais décidé de trouver désormais la bière noire à mon goût. À Falls Road, je m’étais acheté un béret à pompon en tricot de laine blanche. Et aussi une Claddagh ring, la bague d’appartenance vieille de 400 ans. Elle montre un cœur couronné enserré par deux mains. La pointe du cœur de métal dirigée vers votre cœur murmure que vous êtes pris. La pointe du cœur de métal dirigée vers l’extérieur soupire que vous êtes libre. Jim porte la Claddagh, Cathy aussi. Tyrone a une vieille Claddagh en argent. J’observe les doigts dans les pubs, dans les rues. Je laisse traîner ma main sur les tables pour que mon cœur soit vu. Dans les années 70, des paramilitaires loyalistes protestants ont coupé quelques doigts qui portaient cette bague parce qu’elle disait le catholique irlandais. C’était leur jeu. Comme graver le mot Papiste au couteau, dans le dos d’un gamin raflé au hasard de la rue. Un soir, dans le métro parisien, j’ai remarqué une femme qui lisait. Une Claddagh brillait à son annulaire. J’en ai eu les lèvres sèches et les jambes mortes. J’ai posé ma main sur la barre d’appui face à elle, en tapotant l’acier avec l’or de ma bague, mais elle n’a pas levé la tête.

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