Читаем Mon traître полностью

Vus du ciel, les bâtiments du camp étaient en forme de « H ». La lettre blanche fut bientôt le symbole du martyre républicain. Peinte sur les murs, portée aux revers, collée dans les chambres adolescentes, imprimée sur les maillots, gravée dans la pierre, marquée au fer dans le bois, criée par les enfants, répétée à l’infini. « Dieu nous a fait catholiques, le fusil nous a fait égaux », disait un autre mur. Chaque balle tirée par les hommes libres répondait à l’humiliation des hommes emprisonnés. « Et toi ? Que fais-tu pour les prisonniers ? », interrogeait une affiche au-dessus d’un bar. Qu’est-ce que je faisais ? Mais rien, strictement. Je passais. Je marchais avec ma veste en tweed d’ici. Je regardais si l’on me regardait. Je prenais des airs. Je regardais des photos. Je me dégoûtais de tristesse.

Jim m’a accompagné à la gare en voiture. Il ne voulait pas que je prenne un taxi. En quelques semaines, deux catholiques avaient été abattus par des loyalistes dans l’est de Belfast après avoir fait confiance à un chauffeur inconnu. Nous avons roulé doucement. Jim était fermé. Il regardait sans cesse son rétroviseur.

— Je te laisse devant la gare, je ne reste pas, m’a-t-il dit.

La voiture était à l’arrêt. Je n’ai pas bougé. Je regardais la rue.

— Ça va ? il m’a demandé.

— Je veux vous aider, j’ai murmuré.

Jim s’est retourné vers moi. Il m’a observé longtemps. Il avait un visage de pierre. Il n’a pas parlé. Juste, il a mordu sa lèvre. Puis il a hoché la tête. C’est tout. Je suis descendu de la voiture. J’avais l’impression que tout était changé. Je venais de faire quelque chose de compliqué, d’irréversible, d’immense. Jim est parti. Il m’a salué d’un doigt levé sur le volant. Il y avait du monde dans la salle d’attente. J’ai pris mon billet pour Dublin. J’ai eu l’impression que les gens me regardaient différemment. J’étais comme étrange, ou louche, ou suspect de quelque chose. Une belle femme portait un badge au revers de sa veste. « Mise Éire. » J’ai mis longtemps à prononcer correctement cette phrase. « Miche éïra. » « Je suis l’Irlande. » Dans le train, front contre la vitre, j’ai cherché une image qui serait mon refuge. Une scène, un personnage ou un lieu, quelque chose que j’appellerais les yeux clos pour rassurer mes nuits. La femme de la gare était grande, longue, trop bien habillée. Elle devait être d’ailleurs. Je voulais une femme d’Irlande. Alors je l’ai imaginée dans les cahots du train, enveloppée dans un mauvais drap de laine noire, forgée ride à ride par la guerre et la terre, très âgée et très belle. Je la voyais debout, penchée en avant, mains ouvertes, cheveux blancs tombés sur les yeux, qui hurlait sa colère en face des soldats. Ce serait elle. Mise Éire. Mon Irlande rebelle, ma rassurante. Son regard était bleu sauvage et ses lèvres tremblées. En gare de Dublin, l’image était parfaite. Cette femme existerait désormais. Je ne le savais pas encore, mais pendant des années, j’allais la faire revenir devant mes yeux. Je l’ai appelée à mon chevet. Je lui ai demandé de veiller sur moi comme un saint de baptême. Son courroux est resté intact. Longtemps. Jamais je n’ai osé l’imaginer une scène plus loin. Elle était là, comme ça, en colère muette, comme une photo à vif regardée à jamais.

Mise Éire. Voilà. Presque, j’étais l’Irlande aussi. Un peu d’elle. Pour Tyrone Meehan, pour les gars sous les couvertures, pour cette dame de colère, pour mon homme à col rond. En leur honneur à tous.


*


Jim m’a appelé le jeudi 6 décembre 1979. Je l’ai noté, un point d’interrogation inquiet sur mon agenda. Quelques jours plus tôt, Tyrone Meehan avait été condamné à un an et demi de prison. Il a fallu que je me concentre. Lorsque Jim parle, je regarde ses gestes, ses lèvres, ses yeux. Je lis son corps tout autant que ses mots. Au téléphone, Jim n’est plus qu’une langue étrangère, un accent heurté, sauvage. Il m’a demandé si j’écoutais attentivement. J’ai dit oui. Il m’a dit que je devais rencontrer quelqu’un dans un café de la rue Saint-Lazare, face à la gare. Il m’a dit que je le connaissais de vue, que c’était aujourd’hui, à 14 heures. Il m’a dit merci et il a raccroché.

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