Читаем Mon traître полностью

Meehan a souri. Pas un sourire de Tyrone. Rien de gentil, rien d’amical, rien d’accueillant. Juste un mouvement gêné des lèvres et des yeux. Il a poussé la clef vers moi, m’a demandé de la mettre dans ma poche. Et puis il s’est levé. Il s’est adossé au mur. Il a parlé bas, prononçant chaque mot comme on dit un poème. Ou comme on parle à un enfant.

— Tu n’es pas irlandais, a murmuré Tyrone Meehan.

Il m’a dit que je n’avais pas le droit. Que je n’avais aucun droit. Que ce combat n’était pas, ne serait jamais le mien. Il m’a dit que je ne devais plus jamais prêter ma chambre. Que je ne devais plus jamais transporter de l’argent. Que je mettais des gens en danger. Que je jouais à la guerre. Que je me faisais plaisir. Que personne n’avait le droit de changer d’histoire. Que ce n’était pas les Brigades internationales, ici. Ni la Légion étrangère. Que j’étais français, que je pouvais faire de la politique chez moi, du syndicalisme chez moi, que je pouvais me ranger derrière le combat des écologistes ou des immigrés. Qu’on avait besoin de moi, chez moi. Que j’étais un ami de l’Irlande, un camarade, un frère, mais que j’étais ici un passant.

J’ai compris tout ce qu’il m’a dit. Chaque regard et chaque mot. Tyrone Meehan s’est assis à nouveau. Il m’a tendu la main. Une main de paysan, ou d’ouvrier, de labeur, de pauvre. Une main abîmée, creusée de temps, une main de terre et de brique. Il m’a demandé de tendre la mienne. De la poser à plat, paume en l’air, à côté de la sienne. Ma main de vernis, de colophane, de bois.

— Promets-moi de laisser tomber tout ça, a demandé Tyrone.

Je n’ai rien dit. Je l’ai regardé.

— Plus jamais, fils. J’ai un enfant derrière les barbelés, je n’en veux pas un autre. Ce n’est pas ton destin.

J’ai eu envie de pleurer. C’était injuste. J’avais le droit. J’étais d’ici, comme lui, comme Sheila, comme Jim, comme tous les autres. J’avais rejoint les rangs de la République. Personne ne pouvait m’empêcher. Personne. Pas même mon grand homme à col rond. Je me battrais seul, dans mon coin, sans rien dire à personne.

— Promets-moi.

— Je te promets, j’ai répondu à monsieur Meehan. Il m’a regardé longuement.

— Alors, je te crois.

Il s’est penché sur la table et a pris mon visage dans ses mains.

— Petit soldat de rien du tout.

Et puis il s’est levé. Il a frappé à la porte. Peter a ouvert, nous étions enfermés. Tyrone m’a enlacé. Il m’a emmené au pied de l’estrade, où le groupe finissait « Oh ! Danny Boy ». Pendant les applaudissements, il m’a fait monter l’escalier. Les musiciens se sont écartés. Je n’avais jamais vu la salle d’ici. Au fond, à la table ronde, près de la grande cheminée de tourbe, Jim et Cathy parlaient avec d’autres. Il était tard. La moitié des femmes et des hommes tanguait d’une chaise à l’autre. Tyrone Meehan a enlevé sa casquette et pris le micro. Toujours, il me tenait par l’épaule. Le silence s’est fait. Pas immédiatement, mais ici, là, d’un bout à l’autre de la grande salle, des voix le réclamaient.

— Quiet, please !

Et Tyrone Meehan a parlé. Il a dit que certainement des gens ici m’avaient déjà vu. Qu’ils m’avaient croisé sans trop savoir qui j’étais. Et qu’il fallait qu’aujourd’hui ils le sachent. Voilà. Je m’appelais Antoine, j’étais français, parisien et luthier. Alors que les Britanniques lui infligeaient les tortures et la mort, moi, j’offrais à l’Irlande ses plus belles musiques. Il a dit que je fermais les yeux lorsque je jouais. Et que mon violon devenait la colère. Et que c’était ma façon d’être. Et mon combat. Et ma beauté. Et mon courage. Et ma valeur. Et que chacun devait aider l’Irlande comme il le pouvait. Et qu’il y avait les mères, là-bas, au fond de la salle, qui tremblaient de leurs enfants. Et qu’il y avait leurs enfants, qui résistaient au froid et à la merde. Et qu’il y avait les volunteers, les combattants, les soldats, à qui le fusil brûlait les paumes parce qu’ils rêvaient de le jeter bientôt au fond d’un ravin. Et qu’il y avait les autres, tous les simples gens qui défilaient sans cesse pour soutenir la lutte, qui souffraient en silence ou à force de cris. Et qu’il y avait les autres, tous les autres, ceux sans qui, rien. Les amis, les lointains, les frères d’espoir. Ces trois Américains, là-bas près de la porte. Oui, vous, là-bas ! Vous qui venez de Boston pour nous soutenir et que nous remercions du fond de l’âme. Et qu’il y avait un luthier français, qui offrait sa présence discrète en gage de fraternité. Et qu’il fallait les applaudir, tous, avec force. Et les encourager, tous, avec patience. Parce que le combat ne faisait que commencer.

Et puis nous sommes redescendus dans la salle. Jusqu’à ma table, j’ai touché mille mains. Tyrone Meehan me tenait toujours par l’épaule. Il riait aux uns, aux autres.

— Promets-moi ! a-t-il crié à mon oreille au milieu du tumulte.

— Je te promets, j’ai répété en le regardant.

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