Jamais. Plus jamais je n’accepterai qu’un homme mime une grève de la faim. Ou alors qu’il la fasse, vraiment, parce que l’injustice en face est mortelle, et qu’il a tout tenté et qu’il n’a plus de choix. Et alors qu’il souffre, jour à jour, que ses lèvres saignent, que sa peau cède, que ses os percent, que ses larmes sèchent et que ses yeux se ferment. Qu’il la fasse jusqu’à ce qu’il triomphe ou jusqu’à ce qu’il meure. Ou alors qu’il se taise. Que jamais il n’ose. Jamais. J’étais là, dans la rue, en silence de tout, perdu, oublié dans le bois, ma colère en larmes. J’ai essuyé mon visage d’un coup de manche. C’est tout. Je suis rentré.
*
Je
ne sais pas pourquoi je me suis agenouillé. Je suis catholique
comme ça, par habitude, par lassitude. Parce qu’il n’y
a pas de peur au paradis. Je ne vais pas à la messe, je ne me
souviens ni des chants ni des prières. Mais ce jour-là,
dans Falls Road, sur le trottoir, au tout petit matin, j’ai mis
les genoux à terre. C’est un cri qui m’avait
réveillé. Je dormais dans le lit de Jack, chez Tyrone
et Sheila, parce que Jim était à Dublin avec sa femme.
Il était quatre heures du matin, le 5 mai 1981. Un homme a
hurlé dans la rue. Un cri ivre ou colère, je ne savais
pas trop. Un déchirement humain qui nous disait que Bobby
était mort. Juste cela.
— Bobby est mort, a murmuré Tyrone en mettant sa casquette.
Il avait connu Bobby Sands en prison. Jim aussi, l’avait côtoyé dans les
— Pas de violence ! Pas de violence !
Des hommes de l’IRA, en civil et sans arme, parcouraient les rues bras levés en appelant au calme. Ils demandaient à chacun de rentrer chez soi. D’éviter la provocation. D’empêcher d’autres morts. Tyrone s’était joint à eux. Il a obligé un jeune catholique à jeter sa bouteille d’essence contre un mur. Il a fouillé rudement un autre qui courait vers le fort anglais.
— Bobby sera vengé ! Soyez dignes ! criait Tyrone Meehan.
Il était six heures du matin. Toutes les portes des maisons basses étaient ouvertes. Chacun entrait l’un chez l’autre. La rue sentait le thé. Deux combattants de l’IRA sont apparus au coin. Armés de fusil. Foulard sur la bouche et béret noir.
— Qu’est-ce que vous attendez ? a hurlé une femme.
— Défendez votre peuple ! a crié un homme âgé. Les républicains longeaient l’ombre et les briques, l’arme levée.
— Bonjour, Pete, a salué une femme sur le pas de sa porte.