— Salut,
Trish, a répondu l’un des deux soldats. J’ai
essayé de me souvenir du
Le matin, à Westminster, devant l’assemblée silencieuse, un porte-parole du gouvernement britannique a annoncé que
Jim est rentré de Dublin en urgence. Cathy est restée chez ses parents. La veille de l’enterrement, Jim m’a demandé si je voulais rendre un dernier hommage au martyr. J’ai accepté. Une jeune femme est venue nous chercher en voiture. Nous nous sommes arrêtés loin de la maison. Il a fallu marcher. Des hommes guettaient dans le quartier, par petits groupes, mains dans les poches. Sur la porte, il y avait un ruban noir noué. Jim ne m’a rien dit. Il a posé la main sur mon épaule, il a frappé deux fois et poussé la porte ouverte. Bobby était là. Tout de suite là. Je pensais qu’il y aurait une entrée, une pièce, une autre, cent fois le temps de se préparer. Mais il était là. Dans son cercueil ouvert, dans un drapé de satin blanc. Mains jointes, visage cire, poudré et maquillé de vie, du coton dans les joues. Ses os perçaient. Il était translucide. Il n’avait pas le visage de la photo connue. Je ne pouvais pas le regarder. Le drapeau de la République irlandaise, son béret et ses gants de soldat étaient posés sur son torse creux. Entre ses doigts, le crucifix doré envoyé par le pape. Un républicain montait la garde, en uniforme de parade et sans arme, de chaque côté du cercueil. Au moment de la relève, ils allaient se changer, s’habiller en comme nous dans la chambre du haut. Des amis, des proches, des hommes, des femmes se signaient devant lui. Ils parlaient peu, ils parlaient dignes, tout était murmuré. Parfois, un jeune se mettait au garde-à-vous. Un autre saluait le gisant, doigts à la tempe et tête haute. Sur la table, il y avait des sandwichs et des boissons. Tyrone était à la cuisine, avec deux hommes que je ne connaissais pas. Il m’a regardé sans un mot. Il a simplement hoché la tête. Il semblait satisfait que je sois là.
Je suis resté une heure. Je regardais le cercueil. Je regardais les vivants. Ils étaient chavirés et soulagés aussi. L’agonie avait cessé. La souffrance ne pouvait plus rien. Bobby Sands était libre. J’ai observé sa mère. Son empressement chaleureux à accueillir ses hôtes. Il n’y avait pas de larme. J’ai interdit les miennes. J’allais du visage de Bobby au visage de Tyrone. La foule ne cessait d’entrer et de ressortir à pas lents, une vieille femme en foulard noir, deux jeunes garçons, un prêtre et trois amies. Les regards étaient baissés. Je n’étais plus fier de rien. Pas même d’être là, seul étranger au cœur de la douleur.
Un cercueil sur mon épaule
Ils sont morts les uns après les autres. Entre le 5 mai et le 20 août 1981, dix jeunes hommes. Avec Bobby Sands, ce fut donc Francis Hughes, puis Raymond McCreesh, Patsy O’Hara, Joe McDonnell, Martin Hurson, Kieran Doherty, Kevin Lynch, Thomas McElwee et puis Micky Devine. Le plus robuste après 73 jours de jeûne. Le plus fragile après 46 jours. Le plus âgé avait 30 ans. Le plus enfant, 23 à peine.