Читаем Mon traître полностью

— Salut, Trish, a répondu l’un des deux soldats. J’ai essayé de me souvenir du Notre-Père. Les mots sont revenus. « Que Votre nom soit sanctifié. » J’ai fermé les yeux. Bobby Sands était mort. C’était une nouvelle immense. Gréviste de la faim, il avait été élu député à Westminster par les nationalistes du comté Fermanagh/South Tyrone. Il était emprisonné, mais aussi député du Parlement britannique. Il avait joué le jeu. La population républicaine s’était rendue aux urnes pour lui donner sa voix. A l’annonce de son élection, au plus fort de son agonie, l’Irlande a bondi. Jamais, jamais, jamais Thatcher ne pourrait laisser mourir de faim un membre de son Parlement. Jamais. Que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Et voilà qu’il était mort. Après 66 jours. Et que Francis Hughes allait mourir à son tour, et Ray McCreesh, et Patsy O’Hara. S’ils avaient laissé mourir Bobby Sands, les autres n’avaient pas l’ombre d’une chance. « Protégez-nous du mal. Amen. » Tyrone Meehan s’est penché vers moi. Il pleuvait légèrement. Il m’a dit que le thé était prêt. Que j’allais prendre froid. Que je devais rentrer. La ville était noire. C’était un tombeau. Un animal blessé. La détresse. Je suis rentré à sa suite. J’étais nu-pieds. En pyjama et pieds mouillés. Je suis allé à la chambre, j’ai pris mon violon. Je suis retourné dans la rue. Je me suis assis sur le trottoir comme un gamin. J’ai joué The Foggy Dew. Doucement, pour moi, pour Bobby, pour un peu de ma rue. Une voisine a posé à terre un mug brûlant de thé au lait. Deux enfants se sont assis à mes côtés. Le plus petit s’est serré contre moi. J’ai joué comme jamais plus. Dans un théâtre tout exprès. Sous l’orangé des réverbères, protégé par un rideau de pluie, par la colère des hommes, les prières des femmes et puis ces deux enfants.

Le matin, à Westminster, devant l’assemblée silencieuse, un porte-parole du gouvernement britannique a annoncé que « Monsieur Robert Sands » était mort dans la nuit. Et ses collègues se sont levés en signe de respect.

Jim est rentré de Dublin en urgence. Cathy est restée chez ses parents. La veille de l’enterrement, Jim m’a demandé si je voulais rendre un dernier hommage au martyr. J’ai accepté. Une jeune femme est venue nous chercher en voiture. Nous nous sommes arrêtés loin de la maison. Il a fallu marcher. Des hommes guettaient dans le quartier, par petits groupes, mains dans les poches. Sur la porte, il y avait un ruban noir noué. Jim ne m’a rien dit. Il a posé la main sur mon épaule, il a frappé deux fois et poussé la porte ouverte. Bobby était là. Tout de suite là. Je pensais qu’il y aurait une entrée, une pièce, une autre, cent fois le temps de se préparer. Mais il était là. Dans son cercueil ouvert, dans un drapé de satin blanc. Mains jointes, visage cire, poudré et maquillé de vie, du coton dans les joues. Ses os perçaient. Il était translucide. Il n’avait pas le visage de la photo connue. Je ne pouvais pas le regarder. Le drapeau de la République irlandaise, son béret et ses gants de soldat étaient posés sur son torse creux. Entre ses doigts, le crucifix doré envoyé par le pape. Un républicain montait la garde, en uniforme de parade et sans arme, de chaque côté du cercueil. Au moment de la relève, ils allaient se changer, s’habiller en comme nous dans la chambre du haut. Des amis, des proches, des hommes, des femmes se signaient devant lui. Ils parlaient peu, ils parlaient dignes, tout était murmuré. Parfois, un jeune se mettait au garde-à-vous. Un autre saluait le gisant, doigts à la tempe et tête haute. Sur la table, il y avait des sandwichs et des boissons. Tyrone était à la cuisine, avec deux hommes que je ne connaissais pas. Il m’a regardé sans un mot. Il a simplement hoché la tête. Il semblait satisfait que je sois là.

Je suis resté une heure. Je regardais le cercueil. Je regardais les vivants. Ils étaient chavirés et soulagés aussi. L’agonie avait cessé. La souffrance ne pouvait plus rien. Bobby Sands était libre. J’ai observé sa mère. Son empressement chaleureux à accueillir ses hôtes. Il n’y avait pas de larme. J’ai interdit les miennes. J’allais du visage de Bobby au visage de Tyrone. La foule ne cessait d’entrer et de ressortir à pas lents, une vieille femme en foulard noir, deux jeunes garçons, un prêtre et trois amies. Les regards étaient baissés. Je n’étais plus fier de rien. Pas même d’être là, seul étranger au cœur de la douleur.




Un cercueil sur mon épaule




Ils sont morts les uns après les autres. Entre le 5 mai et le 20 août 1981, dix jeunes hommes. Avec Bobby Sands, ce fut donc Francis Hughes, puis Raymond McCreesh, Patsy O’Hara, Joe McDonnell, Martin Hurson, Kieran Doherty, Kevin Lynch, Thomas McElwee et puis Micky Devine. Le plus robuste après 73 jours de jeûne. Le plus fragile après 46 jours. Le plus âgé avait 30 ans. Le plus enfant, 23 à peine.


Перейти на страницу:

Похожие книги

Кредит доверчивости
Кредит доверчивости

Тема, затронутая в новом романе самой знаковой писательницы современности Татьяны Устиновой и самого известного адвоката Павла Астахова, знакома многим не понаслышке. Наверное, потому, что история, рассказанная в нем, очень серьезная и болезненная для большинства из нас, так или иначе бравших кредиты! Кто-то выбрался из «кредитной ловушки» без потерь, кто-то, напротив, потерял многое — время, деньги, здоровье!.. Судье Лене Кузнецовой предстоит решить судьбу Виктора Малышева и его детей, которые вот-вот могут потерять квартиру, купленную когда-то по ипотеке. Одновременно ее сестра попадает в лапы кредитных мошенников. Лена — судья и должна быть беспристрастна, но ей так хочется помочь Малышеву, со всего маху угодившему разом во все жизненные трагедии и неприятности! Она найдет решение труднейшей головоломки, когда уже почти не останется надежды на примирение и благополучный исход дела…

Павел Алексеевич Астахов , Павел Астахов , Татьяна Витальевна Устинова , Татьяна Устинова

Проза / Современная русская и зарубежная проза / Современная проза