Il aime ce moment où il récompense des hommes qui ont bien combattu, qui l'ont servi avec dévouement. Il dit à Macdonald, à Marmont et à Oudinot : « Vous êtes maréchaux d'Empire », et à Davout : « Vous voici prince d'Eckmühl. »
Les tambours roulent. La parade commence. De cette cour d'honneur, il ne voit pas la maison où réside Marie Walewska.
Il rentre au château et rit en apercevant le docteur Corvisart dont tout le visage exprime l'étonnement. Il va vers lui. Il a de l'estime pour cet homme aux allures aimables, qu'il voit presque chaque jour à Paris et dont le diagnostic est sûr. Corvisart devait l'imaginer alité, mourant.
- Eh bien, Corvisart, quelles nouvelles ? Que dit-on à Paris ? Savez-vous qu'on me soutient, ici, que je suis gravement malade ? J'ai une petite éruption, une légère douleur de tête.
Il se tourne, montre sa nuque tout en défaisant sa cravate.
- Le docteur Frank prétend que je suis attaqué d'un vice dartreux qui exige un traitement long, sévère. Qu'en pensez-vous ?
Corvisart rit.
- Ah, Sire, me faire venir de si loin pour un vésicatoire que le dernier médecin eût pu appliquer aussi bien que moi ! Frank extravague. Ce petit accident tient à une éruption mal soignée, et ne résistera pas à quatre jours de vésicatoire. Vous allez à merveille !
Corvisart a-t-il raison ? La question lui vient parfois, en ces semaines de l'été 1809. Il ressent certains jours une fatigue qui l'accable. Et d'autres jours, au contraire, l'énergie l'emporte.
Ce 15 août 1809, il décide de se rendre à Vienne incognito en compagnie du maréchal Berthier, pour découvrir les illuminations de la ville, assister au feu d'artifice qu'on donne à l'occasion de la fête.
Il devine l'inquiétude de Berthier, qui lance des regards angoissés à la foule des passants. Si on reconnaissait l'Empereur...
- Je m'abandonne à mon étoile, dit Napoléon. Je suis trop fataliste pour employer aucun moyen de me préserver d'un assassinat.
Ces gens, qui le bousculent sans l'identifier, l'amusent. Il se sent joyeux, juvénile. Il va passer le reste de la nuit avec Marie Walewska.
- Ma santé est bonne, dit-il à Berthier en rentrant au château de Schönbrunn. Je ne sais ce que l'on débite. Je ne me suis jamais mieux porté depuis bien des années. Corvisart ne m'était point utile.
Il se rend chez Marie Walewska. Il la découvre avec ravissement, si rose, le corps si épanoui.
Il faut qu'il divorce afin d'épouser une femme digne d'un empereur et qui lui donne ce que la douce Marie lui a offert.
28.
L'automne vient. Déjà ! Est-ce possible ? Napoléon a pris ses habitudes ici à Schönbrunn. Il parcourt la campagne à cheval, traversant à pas lents les villages où l'on s'est battu et où les paysans achèvent de reconstruire leurs maisons. Les moissons dans la plaine d'Essling et sur le plateau de Wagram sont rentrées. Les pluies de septembre et d'octobre ont commencé à creuser des ornières dans la terre, et la nuit interrompt brutalement les crépuscules.
Les soldats cantonnés à Nikolsburg ou à Krems, à Brunn ou à Goding, non loin de la frontière hongroise, accueillent l'Empereur par leurs vivats. Il les passe en revue, les fait manœuvrer.
Un samedi de septembre 1809, le 17, il prend la route d'Olmutz. Il monte un cheval blanc plein de vigueur qui saute les fossés et les haies, et il arrive ainsi avant son état-major et son escorte sur le champ de bataille d'Austerlitz. Les troupes du 3e
corps, en le voyant, crient : « Vive l'Empereur ! » Il caracole. Il se souvient.Les princes Dietrichstein l'attendent dans leur château. On lui offre des noix et du vin blanc de Bisamberg. Il repart pour Brunn où il décide de passer la nuit à l'Hôtel du gouvernement. Il a le sentiment d'être partout chez lui. Et il en serait ainsi d'un bout de l'Europe à l'autre. Les Anglais, vient de lui annoncer le général Clarke, s'apprêtent à rembarquer et à abandonner l'île de Walcheren. Leur tentative d'invasion a échoué. Peut-être, du Tyrol à l'Espagne, réussira-t-il à pacifier l'Empire ?
Il rentre à Schönbrunn. Il voit Marie Walewska, puis il se rend au théâtre, où presque chaque soir on danse, déclame ou chante pour lui. Il félicite les acteurs italiens qui viennent d'interpréter
Champagny, après le spectacle, lui présente l'état des négociations avec les Autrichiens en vue du traité de paix. Il s'indigne. Quelle comédie joue Metternich ? Napoléon veut prendre en main personnellement les discussions, ici, à Schönbrunn.