Il veut aboutir. Tout à coup pensif, il marche dans sa chambre. Voilà près de six mois qu'il a quitté Paris, un 13 avril, et l'on est déjà à la mi-octobre. Marie Walewska va regagner son château de Walewice pour que l'enfant naisse au sein de sa famille. Il faudra bien qu'il rentre à Paris, qu'il affronte Joséphine.
À cette idée, il se trouble. Il imagine. Elle a su tant de fois le désarmer alors qu'elle était infidèle et qu'il avait décidé à son retour d'Égypte de rompre avec elle. Elle est si habile, et elle a tant de souvenirs partagés avec lui. S'il ne prend pas garde, elle mettra le siège devant sa chambre, elle y rentrera en se tordant les bras, en sanglotant. Elle suppliera.
Il ne veut plus céder.
Il convoque Méneval en pleine nuit, lui dicte une lettre pour l'architecte qui a la charge des travaux de réfection du château de Fontainebleau où il compte séjourner à son retour. Il veut, dit-il, qu'on mure la galerie qui relie son appartement à celui de l'Impératrice.
Ainsi ses intentions seront claires. Elle comprendra, tous verront.
Il ne cédera pas. Il ne pourra plus céder.
Le jeudi 12 octobre 1809, à midi, il traverse la cour d'honneur du château de Schönbrunn pour assister à la parade. À quelques dizaines de mètres la foule se presse derrière les gendarmes. Il se place entre le maréchal Berthier et le général Rapp, son aide de camp, qui, au bout de quelques minutes, s'éloigne, se dirige vers les badauds et les gendarmes qui les contiennent. Il apprécie l'intelligence et le dévouement de cet Alsacien de Colmar que sa connaissance de l'allemand rend précieux sur le champ de bataille. Il peut interroger les prisonniers, les paysans, conduire une négociation. Et c'est aussi un homme courageux qui, à Essling, a chargé à la tête des fusiliers de la Garde.
Rapp, après la parade, s'approche de Napoléon, demande à s'entretenir avec lui. Napoléon le dévisage. Pourquoi cette figure grave ? Il tient à la main un objet enveloppé dans une gazette, qu'il ouvre.
Napoléon recule. Il écoute Rapp raconter comment il a été intrigué par un jeune homme botté portant une redingote de couleur olive et un chapeau noir, qui demandait à remettre une pétition à l'Empereur en personne. Rapp, en voulant l'écarter, a deviné que le jeune homme dissimulait quelque chose sous son habit.
- Ce couteau, Sire.
Le jeune homme, un dénommé Frédéric Staps, avait l'intention de tuer l'Empereur avec ce couteau. Il ne veut s'en expliquer qu'avec l'Empereur.
Il faut toujours faire face à son destin. Il veut voir Staps.
Napoléon entre dans son cabinet, où l'attend Champagny.
- Monsieur de Champagny, dit-il, les ministres plénipotentiaires autrichiens ne vous ont-ils pas parlé de projets d'assassinat formés contre moi ?
Champagny ne paraît pas étonné par la question.
- Oui, Sire, ils m'ont dit qu'on leur en avait fait plusieurs fois la proposition et qu'ils l'avaient toujours rejetée avec horreur.
- Eh bien, on vient de tenter de m'assassiner. Suivez-moi.
Il ouvre les portes du salon.
Frédéric Staps répond calmement, et cette tranquillité déconcerte. Ce fils d'un pasteur est-il fou, malade, illuminé ? Peut-on, à dix-sept ans, vouloir tuer un homme sans raison personnelle ?
- Pourquoi vouliez-vous me tuer ?
- Parce que vous faites le malheur de mon pays.
- Vous ai-je fait quelque mal ?
- Comme à tous les Allemands.
- Vous avez une tête exaltée, dit Napoléon. Vous ferez la perte de votre famille. Je vous accorderai la vie si vous demandez pardon du crime que vous avez voulu commettre et dont vous devez être fâché.