- Monsieur de Champagny, il faut faire la paix. Vous êtes en différend avec les plénipotentiaires autrichiens pour 50 millions de contributions. Partagez le différend. Je vous autorise à transiger à 75 millions si vous ne pouvez avoir plus. Pour le reste, je m'en rapporte à vous ; faites le mieux possible et que la paix soit signée dans les vingt-quatre heures.
Il ne dort pas. Il imagine. Il pense à Frédéric Staps.
Il somnole, lit, dicte. Marie Walewska est partie. Les nuits sont longues et fraîches.
À 6 heures, M. de Champagny se présente. Est-ce la paix ?
- Le traité est signé ?
- Oui, Sire, le voilà.
C'est comme si l'estomac, si souvent douloureux, se détendait tout à coup.
Il écoute. L'Autriche pert tout accès à l'Adriatique et trois millions cinq cent mille de ses ressortissants. Ces territoires deviennent le gouvernement général d'Illyrie, rattaché à la France. La Galicie est partagée entre le grand-duché de Varsovie et la Russie. Le Tyrol revient à la Bavière.
- Cela est très bien, c'est un fort bon traité, dit-il.
Il prise, tousse.
Qui respecte les traités ? Il faudra que le mariage entre lui et une princesse de Habsbourg lie les deux dynasties, rendant inaltérable ce traité. À moins que le bel allié de Saint-Pétersbourg ne consente à donner sa jeune sœur. L'Autriche, alors, serait prise dans un étau, et bien contrainte de respecter le traité.
Champagny, un instant silencieux, reprend : il a obtenu une contribution de 85 millions au lieu des 75 millions fixés par l'Empereur.
- Mais c'est admirable, cela ! Si Talleyrand avait été à votre place, il m'aurait bien donné mes 75 millions mais il aurait mis les 10 autres dans sa poche !
Le dimanche 15 octobre, dit-il, quand le traité aura été ratifié, il fera tirer le canon à la pointe du Prater, pour célébrer l'événement, la paix.
Toute la journée du dimanche, il entend, portés par le vent, les acclamations et les chants des Viennois qui célèbrent la paix.
Le lundi 16 octobre 1809, au moment de quitter le château de Schönbrunn, il se tourne vers le général Rapp.
- Sachez comment il est mort, demande-t-il.
Staps a été condamné à la peine capitale pour espionnage et il doit être exécuté ce lundi.
L'automne est beau, sur les routes d'Allemagne.
Le samedi 21, il arrive à Munich.
Il chasse dans les forêts des environs de la ville. Le pas des chevaux est étouffé par l'épais matelas de feuilles mortes. Il ne traque pas le gibier, le laissant s'enfuir, indifférent aux aboiements des chiens et aux cris des rabatteurs.
Il n'a en tête que le rapport de Rapp.
- Staps, a raconté Rapp, a refusé le repas qu'on lui proposait, disant qu'il lui restait encore assez de force pour marcher jusqu'au supplice. Il a tressailli quand on lui a annoncé que la paix était faite. Il a dit : « Ô mon Dieu, je Te remercie. Voilà donc la paix faite et je ne suis pas un assassin. »
À 4 heures du matin, le dimanche 22 octobre 1809, Napoléon griffonne quelques mots pour Joséphine.
« Mon amie, je pars dans une heure, je me fais une fête de te revoir et j'attends ce moment avec impatience. Je serai arrivé à Fontainebleau du 26 au 27. Tu peux t'y rendre avec quelques dames.
« Napoléon »
Quand lui parlera-t-il ?
1- Cinquante centimètres environ.
Huitième partie
La politique n'a pas de cœur,
elle n'a que de la tête
27 octobre 1809 - 20 mars 1811
29.
Où est-elle ? Napoléon cherche Joséphine des yeux. Il saute de sa berline de voyage, s'arrête un instant au bas du grand escalier du château de Fontainebleau. Le grand maréchal du palais, Duroc, qui a quitté Schönbrunn quelques heures avant lui, vient à sa rencontre. Des aides de camp et des officiers l'entourent. Où est-elle ? Il lui avait demandé d'être présente avec les dames de la cour, mais elle a préféré ses aises, comme à son habitude.
Il est vrai que le jour commence à peine à se lever, ce jeudi 26 octobre 1809.