- Je ne veux pas de pardon, dit-il. J'éprouve le plus vif regret de n'avoir pas réussi.
- Diable ! il paraît qu'un crime n'est rien pour vous ?
- Vous tuer n'est pas un crime, c'est un devoir.
Napoléon regarde Rapp, Savary, Champagny, Berthier et Duroc, qui entourent Frédéric Staps. Ils semblent tous fascinés.
- Mais enfin, reprend Napoléon, si je vous fais grâce, m'en saurez-vous gré ?
- Je ne vous en tuerai pas moins.
Napoléon quitte la pièce.
Il convoque le général Rapp. Il faut que l'interrogatoire de Frédéric Staps soit poursuivi par Schulmeister. Cet homme habile saura peut-être lui faire avouer le nom de ses inspirateurs et de ses complices.
Rapp persiste à penser que Staps a agi seul.
Napoléon secoue la tête.
- Il n'y a pas d'exemple qu'un jeune homme de cet âge, allemand, protestant et bien élevé, ait voulu commettre un pareil crime.
Il prend plusieurs prises tout en marchant dans son cabinet.
Mais il faut d'abord que rien ne soit connu de cet attentat. Les assassins ont toujours des imitateurs.
Il avertit Fouché.
« Un jeune homme de dix-sept ans, fils d'un ministre luthérien d'Erfurt, a cherché à la parade d'aujourd'hui d'approcher de moi. Il a été arrêté par les officiers et, comme on a remarqué du trouble dans ce petit jeune homme, cela a excité des soupçons ; on l'a fouillé et on lui a trouvé un poignard. Je l'ai fait venir et ce petit misérable, qui m'a paru assez instruit, m'a dit qu'il voulait m'assassiner pour délivrer l'Autriche de la présence des Français. »
Aussi important que le fait, il y a toujours l'opinion que l'on en tire.
« J'ai voulu vous informer de cet événement, reprend Napoléon, afin qu'on ne le fasse pas plus considérable qu'il ne paraît l'être. J'espère qu'il ne pénétrera pas. S'il en était question, il faudrait faire passer cet individu pour fou. Gardez cela pour vous secrètement, si l'on n'en parle pas. Cela n'a fait à la parade aucun esclandre ; moi-même je ne m'en suis pas aperçu. »
Il faut insister encore.
« Je vous répète et vous comprendrez bien qu'il faut qu'il ne soit aucunement question de ce fait. »
Il reste seul. Il ne craint pas la mort. Il s'approche de la table sur laquelle est posé le long couteau effilé que dissimulait Frédéric Staps.
Mais il faut agir. Le destin est un grand fleuve sur lequel l'homme doit naviguer, utilisant le courant, essayant d'éviter les tourbillons.
Il appelle le ministre des Relations extérieures.