Il se réveille. Il sort du songe et de la nuit. Tout est dit et rien n'est réglé. Ni le divorce ni le mariage. C'est comme une bataille commencée dans laquelle rien n'est conclu.
Peut-être même Joséphine espère-t-elle encore ? Elle lui lance parfois des regards insistants où il lit une attente, comme si elle attendait un geste, un mot qui dissiperaient son cauchemar. Et il se retient d'avoir pour elle des remarques de tendresse, car il sent qu'elle s'accroche à lui comme pour le faire basculer dans leur passé, leurs souvenirs.
Il ne veut pas. Mais à chaque instant il doit lutter contre lui-même, contenir son émotion quand il reçoit Eugène arrivé d'Italie. Il aime le fils d'Hortense. Il l'a vu devenir un homme, un soldat, en Égypte, en Italie, en Allemagne. Il l'écoute dire :
- Il vaut mieux tout quitter, nous aurons une position fausse, ma mère finira peut-être par vous gêner. Désignez-nous un endroit où nous puissions, loin de la cour et des intrigues, aider notre mère à supporter son malheur.
Napoléon secoue la tête. Il l'a déjà dit à Hortense, il ne peut pas accepter cela. Il ne supporterait pas cette blessure. Il n'en voit pas la nécessité.
Il s'approche d'Eugène. Il a fait du garçon de quinze ans d'autrefois un vice-roi d'Italie.
- Eugène, dit-il, si j'ai pu vous être utile dans ma vie, si je vous ai tenu lieu de père, ne m'abandonnez pas. J'ai besoin de vous. Votre sœur ne peut me quitter. Elle se doit à ses enfants, mes propres neveux. Votre mère ne le désire pas.
Il saisit Eugène par les épaules. Il doit le convaincre.
- Avec toutes vos idées exagérées, vous feriez mon malheur. Je dirai plus : vous devez songer à la postérité. Restez si vous ne voulez pas qu'elle dise : l'Impératrice fut renvoyée, abandonnée. Elle le méritait peut-être.
Il sent qu'Eugène est ébranlé. Même dans l'émotion, il faut lutter pour l'emporter.
- Son rôle n'est-il pas assez beau d'être encore près de moi, reprend Napoléon, de conserver son rang et ses dignités, de prouver que c'est là une séparation toute politique, qu'elle a voulue, et d'acquérir de nouveaux titres à l'estime, au respect, à l'amour d'une nation pour laquelle elle se sacrifie ?
Il a gagné. Il serre Eugène contre lui. Il veut qu'Eugène se rende auprès de sa mère, la raisonne, qu'elle consente à la séparation.
Le vendredi 8 décembre, dans la matinée, ils sont tous trois réunis. Joséphine, en présence de son fils, parle calmement. Napoléon l'observe. Elle a même retrouvé cette expression aiguë où se mêlent le désir et l'avidité. Il est sur ses gardes.
- Le bonheur de la France, dit-elle, m'est trop cher pour que je ne me fasse pas un devoir de m'y prêter.
Il la voit qui prend la main d'Eugène.
Elle veut, continue-t-elle d'une voix tout à coup sèche, que Napoléon transmette la Couronne d'Italie à Eugène.
Eugène s'est levé.
- Votre fils, s'écrie-t-il en répondant à Joséphine, ne voudrait pas d'une Couronne qui serait le prix de votre séparation !
Napoléon l'embrasse.
- Je reconnais le cœur d'Eugène, dit-il. Il a raison de s'en rapporter à ma tendresse.
Elle a donc accepté.
Il faut maintenant, sur l'autre front, choisir la mariée. Il convoque Champagny, le ministre des Affaires extérieures. Il est urgent de savoir quelle est vraiment l'attitude d'Alexandre. Veut-il ou non donner sa sœur Anne ? Ou bien biaise-t-il ? Il faut une réponse rapide. Et que l'ambassadeur Caulaincourt, quand il verra le tsar, fasse comprendre qu'on n'attache aucune importance aux conditions, même à celle de la religion. Ce sont des enfants qu'on veut, un ventre fécond, donc. Et une réponse sans détour. Sinon, on se tournera ailleurs, vers Vienne.
Il est joyeux de ce mouvement qui commence. Enfin il a donné le branle.
Il se rend à la grande fête que donne le maréchal Berthier dans son château de Grosbois. Il chasse en compagnie de
Tout à coup, il voit Joséphine qui s'avance. On ne l'attendait pas. Elle s'assied dans la salle où l'on va jouer
Il ne connaît pas cette pièce. Il l'écoute et la regarde distraitement, quand tout à coup des répliques le font sursauter. L'acteur répète :