« Mon amie, je t'ai trouvée aujourd'hui plus faible que tu ne devrais être... Il ne faut pas te laisser aller à une funeste mélancolie ; il faut te trouver contente et surtout soigner ta santé qui m'est si précieuse. Si tu m'es attachée et si tu m'aimes, tu dois te comporter avec force et te placer heureuse. Tu ne peux pas mettre en doute ma constante et tendre amitié, et tu connaîtrais bien mal tous les sentiments que je te porte, si tu supposais que je puis être heureux si tu n'es pas heureuse, et content si tu ne te tranquillises.
« Adieu, mon amie, songe que je le veux.
« Napoléon »
Il se répète la phrase qu'elle a murmurée d'une voix calme dans le parc de la Malmaison.
« Il me semble quelquefois, a-t-elle dit, que je suis morte et qu'il ne me reste qu'une sorte de faculté vague de sentir que je ne suis plus. »
Il reçoit d'elle des lettres qui exhalent toutes le même désespoir et le même accablement.
Il ne peut lui en vouloir. Elle s'est soumise. Mais l'irritation le gagne. Il ne lui a pas imposé cette souffrance pour rien.
Il convoque Champagny. A-t-on une réponse du tsar ?
Il s'impatiente. Il faut obtenir une réponse immédiate, nouer rapidement le lien d'un mariage. Qui peut être sûr de l'avenir ?
Il pense à Joséphine. L'inquiétude est tout à coup si forte qu'il part chasser le cerf, se lançant au galop jusqu'à l'épuisement de son cheval. Il rentre à la nuit, mais Trianon, malgré la présence des officiers de sa maison et des domestiques, est froid et lui semble désert.
Il convoque le général Savary. Qu'il se rende à la Malmaison, qu'il voie Joséphine, qu'il fasse un rapport sur l'état de l'Impératrice.
Savary est revenu porteur d'une lettre de Joséphine. L'Impératrice est abattue, commence-t-il. Napoléon, avec impatience, l'écoute, lit la lettre, puis se met à écrire.
« Je reçois ta lettre, mon amie. Savary me dit que tu pleures toujours : cela n'est pas bien... Je viendrai te voir lorsque tu me diras que tu es raisonnable et que ton courage prend le dessus.
« Demain, toute la journée, j'ai les ministres.
« Adieu, mon amie, je suis triste aujourd'hui ; j'ai besoin de te savoir satisfaite et d'apprendre que tu prends de l'aplomb. Dors bien.
« Napoléon »
Que peut-il faire pour la forcer à vivre, à se redresser ? La voir !
« J'ai bien envie de te voir, mais il faut que je sois sûr que tu es forte et non faible ; je le suis aussi un peu et cela me fait un mal affreux. »
Le lundi 25 décembre, il l'invite à Trianon pour le dîner, mais, dès qu'il la voit, il regrette de l'avoir conviée. Elle a cet air battu de victime qu'il ne supporte pas. Il se sent incapable de parler, assis en face d'elle avec, à sa droite, la reine Hortense et Caroline, reine de Naples.
Parfois il baisse la tête parce que les larmes envahissent ses yeux.
Il a voulu, choisi cela.
Il n'y aura pas d'autre dîner avec Joséphine.
Il quitte Trianon dès le lendemain et rentre aux Tuileries. Il longe les galeries, traverse le salon où se tenait le cercle de l'Impératrice.
Ce palais, sans épouse, est mort.
Il se sent isolé. Il ne peut s'empêcher de lui écrire encore :
« J'ai été fort ennuyé de retrouver les Tuileries, Eugène m'a dit que tu avais été toute triste hier : cela n'est pas bien, mon amie, c'est contraire à ce que tu m'avais promis.
« Je vais dîner seul.
« Adieu, mon amie, porte-toi bien. »